Raté, l'écrivain? En tout cas pas Mary Dollinger, qui a écrit le tout petit ouvrage "Journal désespéré d'un
écrivain raté", qui porte bizarrement son titre puisque, plutôt que d'un journal (avec des dates et des éléments personnels voire intimes), c'est d'une véritable nouvelle, voire d'un petit roman
qui a tout d'un grand (à la façon de Yasunari Kawabata, auteur japonais, dûment cité), qu'il s'agit.
Deux lignes directrices guident le lecteur à travers ce tout petit livre. Celle qui vaut son titre au livre est la plus personnelle: c'est la relation des liens parfois houleux que peut
entretenir un écrivain aspirant à être édité avec ses futurs éditeurs. La voie est apparemment royale: un homme à la voix ténébreuse et au style séduisant l'appelle pour lui dire que c'est OK,
qu'on va l'éditer. Le hic? A un moment donné, cependant, l'interlocuteur de l'écrivain annonce que le contrat d'édition sera un contrat participatif. L'auteur dramatise la chose, brièvement
- la brièveté d'un coup de tonnerre. Patatras! C'est qu'il est difficile d'entrer dans la forteresse des écrivains publiés par une maison d'édition à compte d'éditeur (pour reprendre une
image de Georges
Flipo dans "Le Vertige des auteurs"), et que cette
pénétration ne saurait éviter un océan de lettres de refus.
La narratrice de ce récit en est consciente. Plutôt que de larmoyer sur les rebuffades des éditeurs, elle pose une hypothèse à laquelle tout aspirant écrivain en mal d'éditeur a sans doute pensé
un jour ou l'autre: que se passerait-il si tel monstre sacré de la littérature française d'autrefois présentait son oeuvre maîtresse à un éditeur d'aujourd'hui? L'auteur parvient ici à
trouver, sans se tromper, ce qu'un éditeur d'aujourd'hui reprocherait aux grands classiques d'hier: trop longs, trop tortueux, pas assez explicites, pas le bon genre... Les auteurs d'autrefois
sont donc mis en scène, confits dans la conviction de leur talent; reste que l'auteur, relatant la confrontation entre auteurs et éditeurs, va à l'essentiel - pas de description,
l'essentiel passe par les dialogues. Quant aux éditeurs, on y croise des noms connus, tels Anne Carrière... ou Jacques André, qui a publié ce petit livre.
Ainsi se tresse un jeu à deux voix entre la dure réalité de l'écrivain contemporain en quête d'éditeur, toujours tenté de se demander, de rage peut-être, ou d'envie, ou simplement par un jeu
d'associations libres, ce que les grands maîtres (on croise ici Honoré de Balzac, Gustave Flaubert, Victor Hugo, entre autres) auraient vécu s'ils étaient dans sa situation.
Un petit roman (75 pages) qui a tout d'un grand, donc... Grâce à une manière raffinée d'aller à l'essentiel tout en restant poétique à l'occasion, l'auteur recrée avec humour, usant
d'une plume efficace et entraînante, l'univers de ceux qui aimeraient bien être écrivains. Il ne fait aucun doute que plus d'un auteur bien installé trouvera dans "Journal désespéré
d'un écrivain raté" le rappel de quelques souvenirs. A recommander, donc, à tous ceux qui ont des démangeaisons au bout de la plume... et aux autres, qui ne trouveront certainement pas ce récit
désespérant!
Mary Dollinger, Journal désespéré d'un écrivain
raté, Lyon, Jacques André, 2007.
La blogosphère a largement parlé de ce livre, par exemple chez Sylvie-Lectures, Keisha, Le Goût des Livres, Mots et cris, Wrath, Maijo, My Lou Book, Sylire, Des livres et des champs, Isil, Antigone, Ephémerveille, HappyFew, La Lettrine, De livres en livres, et sans doute d'autres - qu'ils n'hésitent pas à se manifester!
Le site de l'éditeur: http://www.jacques-andre-editeur.eu/
Le blog de l'auteur: http://englishgirl.blogs.psychologies.com/