Roman, lu par Livresquement, Paikanne, Pimprenelle, Ramettes, S. Ecriture.
Dans "Polynie", tout commence comme dans un roman policier sérieux: d'emblée, le lecteur est confronté à un cadavre, manifestement décédé de mort violente. Et, en affirmant "Les Chinois ont découvert l'Amérique", l'incipit constitue un indice qui traversera l'ensemble du dernier roman de Mélanie Vincelette. Le lecteur est-il dès lors plongé dans une intrigue policière classique? Au terme de la lecture, force est de constater que non - et qu'au fond, l'auteur a mené son lecteur sur des chemins autrement intéressants, dont le fil rouge est sans doute la recherche de l'identité réelle des êtres apparemment les plus proches.
Le dispositif mis en place par l'auteur est accrocheur et pertinent: c'est au frère de la personne assassinée qu'elle choisit de donner la parole. Ambroise est cuisinier dans une base scientifique de la Terre de Baffin. Sa relation avec son frère est ainsi explorée dans toute sa complexité. Il y a une part de vénération là-dedans, mais aussi des aveux de faiblesse et de méconnaissance. Rien d'étonnant: Rosaire, le fameux frère, est devenu avocat spécialisé dans le droit international. A-t-on vu deux frères si dissemblables? Tout au long du roman, Ambroise va mesurer la distance qui le sépare de Rosaire, cet être familier dont il découvre soudain la face qu'il ignore - distance dont le statut professionnel n'est que l'élément le plus visible. Tel est donc l'angle majeur de l'enquête, ou de la quête.
La Terre de Baffin constitue, pour ce genre d'histoire, un terrain idéal. Le lieu est confiné, permettant à l'auteur de camper un fil rouge policier tournant autour d'un petit nombre de personnages présentés comme des suspects - c'est une manière de les faire vivre. Elle ne se gêne pas de les peindre de manière approfondie, de dévoiler leur passé afin d'expliquer leur présent, cédant au pittoresque à l'occasion - Brice de Saxe Majolique, responsable de la mine, est à ce titre emblématique, dans tout ce qu'il a de splendide et d'odieux à la fois. Et puis, tout un chacun avait des raisons d'en vouloir à Rosaire Nicolet: amantes éconduites, amie appelée à bénéficier d'une assurance-vie, rivalités politiques...
... c'est que l'élément politique, mine de rien, joue un rôle jusque dans les terres reculées de Baffin. Les personnages mis en scène par l'auteur sont fort divers: des Inuit, des Canadiens, des Européens. Tout ce petit monde a des intérêts fort divergents - à commencer par les Inuit, qui considèrent qu'ils ont été spoliés de leurs terres. Et puis, à qui appartient l'Arctique? Question récurrente de ce roman, Rosaire défendant de manière engagée une position inacceptable pour les Canadiens en la matière, sur la base d'un document de famille historique.
Et puis, il y a la nature et l'écologie, éléments présentés par l'auteur sous un jour original. Elle présente certes les conséquences du réchauffement du climat dans cette région. Mais elle dévoile aussi certains éléments de la vie quotidienne au contact d'un environnement hostile: l'ours blanc est-il comestible? Et quels champignons peut-on manger? Se présente, en sous-main, la confrontation entre une vie difficile au Grand Nord et les idéaux portés par certaines habitudes alimentaires (le végétarisme, porté par Marcelline). Tout cela sert de cadre propice à la description d'un mode de vie particulier.
Mais s'il présente certaines causes, ce roman n'a rien de militant. Il interroge cependant le lecteur, que ce soit sur les éléments contextuels (écologie, nature, habitudes alimentaires) ou sur ses relations avec autrui: connaît-on vraiment ceux qui nous sont proches? Tout cela est porté, dans une certaine lenteur, par un style très écrit, lent par choix et par pertinence - sans pour autant s'étendre inutilement. Faussement policière, engagée à sa manière, l'intrigue amène donc le lecteur sur des pistes qui enrichissent sa réflexion personnelle, bien davantage qu'un roman policier.
Mélanie Vincelette, Polynie, Paris, Robert Laffont, 2011.
A noter que ce roman a paru le 14 février 2011, soit exactement le même jour que celui de J. Heska, récemment commenté ici.
Merci à Livraddict et aux éditions Robert Laffont pour le partenariat et la découverte!