Roman, lu par Angélita.
Lu dans le cadre du défi "Pour-cent de la rentrée littéraire".
... en tout cas dans le dernier roman d'Alba Kertz, intitulé de manière succincte et énigmatique "Masmara", justement. Ce livre est le troisième titre et le deuxième roman (après "Luce") que l'auteur de Bandol publie aux éditions des Presses du Midi. Et si, au terme des 195 pages de ce roman, tout trouve un ordre stable et prometteur à long terme, c'est une ambiance d'instabilité qui règne au début du récit.
Comme il se doit dans un roman bien construit, le premier chapitre de "Masmara" contient en germe de quoi lancer toute l'intrigue. On y rencontre d'emblée Ludivine, dite Ludi, qui décide qu'elle doit larguer Marc, son amant du moment - un de plus à sa collection, ce personnage se caractérisant par une certaine instabilité sentimentale connue de toutes et de tous. Cette instabilité fait contraste avec deux figurants: un jeune couple fusionnel qui s'embrasse fougueusement dans le parc où Ludivine lit Raymond Aron - une béquille, un prétexte dont elle saura se débarrasser au moment opportun, comme on vire un sparadrap devenu inutile. Et en constatant tout cela, force est de constater qu'il sera question d'amour, et plus largement de liens interpersonnels.
C'est que Ludivine a aussi le goût de l'intrigue et qu'en la matière, elle va être servie. En toute tranquillité, l'auteur campe au fil des pages une ambiance en demi-teintes un rien amère en montrant un Julien absent, peu concerné par une vie de famille pourtant vibrionnante puisqu'autour de lui, il y a une épouse formidable, Laure, et pas moins de cinq enfants que l'auteur va pas mal détailler, notamment Patrick (qui se découvre une certaine identité sexuelle) et Vanessa - un personnage qui va jouer un rôle particulier dans le récit, du point de vue de l'action et du rythme.
Action d'abord, puisqu'elle va susciter en fin de roman un coup de théâtre qui lui permettra de connaître les limites de certaines curiosités - ce dont elle sortira grandie, mûrie. Rythme et technique romanesque ensuite, puisque ses interventions sont le plus souvent consignées dans des lettres qu'elle écrit à sa meilleure amie, qui vit au Japon avec sa famille, expatriée pour des raisons professionnelles. Par leur vivacité, ces lettres, insérées à la manière de véritables chapitres, créent un contraste d'ambiance et de rythme bien venu; elles dévoilent par ailleurs, de manière très directe, certaines vérités subodorées ou connues, quitte à révéler quelques étonnements plus facilement que dans le cours normal du récit. Enfin, l'auteur profite du contact entre Vanessa et son amie du Japon pour donner à son roman, qui brasse des sentiments de toujours, un petit vernis de modernité.
Quant à Julien, pour revenir à lui, est-il au-dessus de tout soupçon en matière conjugale? L'auteur affirme que non, et lance dès lors une manière d'intrigue policière où il s'agira pour Ludivine de pister son cousin - quitte à se mêler de ce qui ne la concerne pas. Le fait que ledit cousin ne lui soit pas indifférent corse naturellement la démarche... qui prend parfois, sous la plume adroite de l'auteur, des allures de scènes de vaudeville.
Et comme il ne faut pas tout dire d'emblée au lecteur afin de lui laisser quelque chose à découvrir au fil des pages, ce n'est que très progressivement que l'auteur dévoile les enjeux de Masmara, la maison des parents de Ludivine... parents victimes d'un drame mortel, ce qui va longtemps retenir Ludivine d'y revenir - le roman lui permet cependant de régler leur sort à quelques vieux démons et de tourner la page. Ainsi peut-on voir dans ce récit l'histoire du cheminement vers le retour à la maison des parents. Et peut-être, enfin, à une certaine stabilité de vie pour Ludivine.
Ainsi s'entrecroisent les destins sculptés dans ce récit qui, ambitieux, explore les sentiments en demi-teinte de personnages arrivés à des âges qui, bien que différents, ont tous leurs questions: sexualité, nouvelles carrières, tentation d'une autre conjointe, etc. Et chacun va trouver sa (nouvelle) voie, dans un Sud de la France empreint à la fois de traditions (les allusions à la sardane en témoignent) et de modernité.
Alba Kertz, Masmara, Toulon, Les Presses du Midi, 2011.