Roman, lu par Bouquinbourg, Enna, ICB, JC Grosse, Journal d'une lectrice, Le coin, Nath, Petites Idées.
La psychanalyse freudienne peut révéler les secrets les plus obscurs d'une personnalité légendaire. Tel est le propos du roman "Marilyn dernières séances" de Michel Schneider. Lui-même psychanalyste, l'auteur se met dans la peau de Ralph Greenson pour révéler les facettes les plus mystérieuses de Marilyn Monroe. Publié en 2006, ce roman a obtenu le prix Interallié la même année.
Portrait tourmenté de Marilyn Monroe et de Ralph Greenson
Marilyn Monroe et Ralph Greenson donc... mais qui est le personnage principal de ce roman? Tout se passe comme si "Marilyn dernières séances" relatait la destinée d'un duo réciproquement délétère - où l'on se demande qui, de Greenson ou de Monroe, est vraiment le patient. Certes, Marilyn Monroe se positionne en malade mentale, priant Ralph Greenson de la soigner. Face à elle, l'analyste adopte la position d'un passionné, quitte à bazarder les règles de base de l'analyse freudienne: il accepte le contact physique avec Marilyn Monroe, l'invite chez lui, lui ouvre les portes de sa famille, sous le prétexte de lui offrir un cadre dont elle n'a jamais bénéficié. Dès lors, on peut se demander qui est vraiment le patient - sachant aussi que "patient" et "passion" ont, en français, une même étymologie latine qui suggère une souffrance endurée.
Schizophrène, Marilyn Monroe? Telle est l'hypothèse du médecin. Cette hypothèse est illustrée par de nombreuses dichotomies et dualités. La première qui vient à l'esprit est celle qui est dépeinte, de façon directe, entre Marilyn Monroe (un personnage, un pseudonyme) et Norma Jeane Baker (un être humain réal qui tente de vivre, hors du champ des caméras). La dualité tranchée s'exprime, par métaphores, tout au long du roman, que ce soit par l'image du jeux d'échecs (noirs contre blancs) ou par les perruques brunes que l'actrice met parfois pour cacher sa blondeur. Sans compter la blondeur naturelle de Marilyn Monroe, encore camouflée par une teinture blond platiné. Enfin, la dualité est suggérée dès l'exergue de ce roman: selon un mot de l'actrice, "il y a toujours deux côtés dans une histoire."
Figure à la jeunesse et à l'enfance tourmentées, Marilyn Monroe est aussi présentée comme un personnage sans racines - sans famille donc. Cela se poursuit dans la profession d'actrice de cinéma qu'elle adopte, dont l'histoire est pour le moins succincte à l'époque où elle l'embrasse avec le succès que l'on sait. Cela, dans un pays, les Etats-Unis, dont on dit encore aujourd'hui qu'ils n'ont pas d'histoire, pas de racines... dès lors, on peut voir dans Marilyn Monroe, telle que dépeinte dans ce roman, la métaphore d'un genre artistique et d'un pays jeunes - d'autant plus que l'actrice est décédée avant d'avoir connu le grand âge.
Les coulisses du glamour hollywoodien
Tout en dépeignant les deux années qu'a duré l'analyse de Marilyn Monroe par Ralph Greenson, l'auteur ne se gêne pas de dépeindre l'univers glamour dans lequel l'actrice évolue, notamment en recourant au procédé du namedropping. Le lectorat croise ainsi plein d'acteurs et de personnalités, allant - bien entendu - jusqu'aux Kennedy.
Cet élément scintillant est toutefois plombé, dès le début, par l'angle d'attaque choisi par l'auteur, à la fois médical et policier - sans parler du côté inquiétant de la voix de Marilyn Monroe, qui parle encore sur des bandes magnétiques après son décès, comme une étoile brillant encore au regard des humains alors qu'elle est morte depuis longtemps dans son coin d'univers. Le récit s'avère donc policier dans les premières pages, montrant le planton accueillant l'information de la mort de Marilyn Monroe dans des circonstances mystérieuses. Il est médical aussi, bien sûr, puisque le lecteur est invité à suivre l'exploration psychanalyste d'une figure tourmentée - et donc passionnante. Reflet de mélanges médicaux improbables, le cocktail de ce roman a quelque chose d'inquiétant, que l'auteur ne gomme guère, tant son style est sobre et factuel.
Style sobre? C'est même le style du documentaire que l'auteur adopte. Entre certains épisodes d'analyse, en effet, l'auteur n'hésite pas à insérer les opinions ou paroles de personnages qui entourent l'actrice, ni à décrire certains lieux à la manière de guides touristiques: la localisation de l'étoile de Marilyn Monroe sur le boulevard, l'histoire des lettres "Hollywood" au-dessus de la ville ou de telle photo célèbre signée Barris. La brièveté des chapitres elle-même rappelle au lecteur la rapidité de la succession de scènes de cinéma. Mais derrière le genre documentaire, c'est la littérature la plus pure qui se cache, résidant dans un art consommé de faire entrer en résonance ce qui pourrait ne paraître qu'une série de hasards sans liens les uns envers les autres.
Le lecteur est, enfin, accroché par le bandeau choisi par l'éditeur. On y voit Marilyn Monroe couchée sur un lit (photo d'Eve Arnold). Est-elle ivre, décédée ou simplement en train de dormir? Le roman "Marilyn dernières séances", évoquant la dernière psychanalyse de l'actrice, est aussi celui de la pluralité du sens à donner à toute apparence.
Michel Schneider, Marilyn dernières séances, Paris, Grasset, 2006.