Lu par Actulittéraire, Mirliflore, Thé au jasmin, Val, Wrath.
Lu dans le cadre du défi "Rentrée littéraire 2012".
"Chateaubriand 2.0": à la fois romantique et moderne, l'expression fait partie des inventions verbales de "Plagiat", le deuxième roman de Myriam Thibault, paru une fois de plus chez Leo Scheer. Une formulation qui relève du procédé? C'est surtout une trouvaille intéressante et décadente, ainsi explicitée par l'auteur: "On ne trouve plus que des Chateaubriand version 2.0 ne sachant plus quoi faire pour cracher, à qui veut l'entendre et à qui ne le veut pas, leur égocentrisme démesuré.". Si la littérature de ce début de XXIe siècle est le royaume de l'égotisme, force nous est de constater que Myriam Thibault, auteure de "Plagiat", a frappé juste. Mais il n'y a pas que ça dans ce roman, qui se veut aussi un regard sur le monde des auteurs parisiens en vue - il est permis de penser à Frédéric Beigbeder, même si le personnage principal de "Plagiat" n'impose pas cette figure sur ce coup-ci.
Rappelons donc qui est le personnage principal de ce récit, ce "je" qui ne dit pas son nom. Le lecteur est amené à penser à n'importe quelle star du monde littéraire - Frédéric Beigbeder peut-être, ou toute autre célébrité qui oscille entre la nécessité de publier une fois par an (qu'il y ait inspiration ou non) et la simple idée de donner corps à sa vie sentimentale. Largué par sa dernière conjointe et pressé de publier un nouveau livre, il va exploiter la manière de sa propre existence - et celle de son entourage, ce qui est gênant.
Le personnage principal cultive les paradoxes, écrit l'auteur. Le lecteur peut s'interroger: un personnage peut-il être paradoxal sans prêter le flanc à une critique avide de cohérence? L'auteur opte, non sans habileté, pour un personnage qui assume globalement ses contradictions, réussissant le tour de force d'être à la fois un misanthrope cynique (le chapitre "Tous des cinglés", p. 55 ss, en est une image forte) et un gars prêt à pleurer lorsqu'on lui demande un autographe dans les salons hors capitale - et à vivre très bien dans une localité de province, loin de sa cour.
Ce roman fonctionne donc comme l'histoire d'un homme qui vit la fin d'une vie de couple - et dont le roman va précipiter la chute de son ménage, à la faveur d'éloignements et de rapprochements favorables. Un juriste serait certes en droit de se demander si copier dans son roman les lettres de son ex relève du plagiat ou de la simple atteinte à la vie privée; l'auteur ne choisit pas.
Le lecteur qui suit Myriam Thibault depuis son premie recueil de nouvelles trouvera dans "Plagiat" une nouvelle avancée dans l'art romanesque de l'auteur. En particulier, les longueurs un peu vaines d'"Orgueil et désir" sont gommées au profit d'un ouvrage qui tient debout sans fioriture. En arrière-plan, c'est le milieu de l'édition littéraire parisienne qui prend forme, avec toutes ses méfiances qui s'expriment derrière la façade mondaine; quel éditeur peut jurer qu'il n'y a jamais eu d'affaire de plagiat sous son toit?
Et si le coeur de ce roman bat à Paris, l'histoire n'hésite pas à se balader en province. Faut-il y voir un clivage trop traditionnel? A voir, en considérant que d'une partie et d'un chapitre à l'autre, dûment nommés en fonction des lieux où ils se déroulent, on déménage. Et en sachant aussi que seule une provinciale, tourangelle en l'occurrence, a pu écrire "Paris je t'aime" en y mettant l'indispensable émerveillement requis par le sujet. C'est dans cette lignée que le roman "Plagiat", témoin d'une indéniable maturité, s'inscrit.
Myriam Thibault, Plagiat, Paris, 2012, 158 p.