Roman, lu par Cogito Rebello.
Mikaël Hirsch fait partie des auteurs de la rentrée littéraire 2011 du domaine français - et, avec "Les Successions", son troisième roman, il fait même partie de ceux qui comptent. Paru aux éditions "L'Editeur", ce roman est en effet d'une densité qui ne peut qu'attirer les lecteurs les plus exigeants.
Construite autour des milieux du négoce d'art, l'intrigue de ce roman se dessine peu à peu au lecteur, montrant l'histoire d'un homme, Pascal Klein, désireux de retrouver enfin un tableau de Marc Chagall qui a appartenu à son père et, le lecteur le découvre peu à peu, constitue un élément essentiel de son enfance. Cette quête va amener Pascal Klein jusqu'au Japon...
Une fable de l'incommunication
... Japon? Sachant que Pascal Klein est présenté comme Français bon teint, on imagine sans peine que ce roman va, au-delà d'une histoire finalement secondaire, aborder en détail le thème de l'incommunication, de la difficulté que certains humains ont à s'exprimer face à leurs semblables. A cette enseigne, le Japon fait figure de première image, forcément caricaturale et étrange pour un lecteur occidental - et l'auteur joue de cet élément à fond. Il n'est qu'à penser à ce bar à déguisements où Pascal Klein se retrouve en début de récit, ou à cette serveuse qui aimerait bien discuter avec son hôte, sans penser à la rencontre ultime avec un cadre de la mafia japonaise... Tout est rendu difficile par les barrières objectives et humaines, linguistiques et culturelles. Ce bar, ce pays, serait-il le lieu des conventions? Ou de conventions différentes de celles de l'Occident?
Mais au fond, les relations familiales, qui devraient être empreintes de franchise, ne sont-elles pas aussi le lieu des conventions? L'auteur trace donc un parallèle avec les relations que Pascal Klein entretient avec son père - des relations difficiles, avec un dialogue peu évident si l'on excepte un rituel: le fils coupe les cheveux de son père, artiste ayant côtoyé Chagall, à chaque rencontre. Cela, faute de trouver toujours les mots qu'il faut. Scénario connu...
Ainsi, chaque personnage de ce roman souffre-t-il de n'être pas compris... faute d'avoir su s'exprimer, peut-être.
Quand les artistes souhaitent s'exprimer
Artiste, le père? Et le fils? Pascal Klein aurait bien voulu devenir artiste, communiquer avec le monde par ses oeuvres, mais sa destinée en a décidé autrement - Klein est donc devenu un galeriste en vue, qui a certes réussi dans son domaine professionnel, mais est passé à côté de son objectif de vie. En mettant en scène un tel personnage, l'auteur dérange: combien sommes-nous à avoir dû abdiquer une vocation créative pour, simplement, s'assurer une vie matériellement décente?
Le personnage de Pascal Klein fait ainsi résonance avec celui de Ferdinand de Sastres, également créateur velléitaire mais ayant fait carrière dans tout autre chose. Son mode d'expression sort des canons ordinaires, puisque son chef-d'oeuvre est, sans doute, sa propre maison, construite au terme de nombreux atermoiements. Et puis, il y a son grand projet: racheter des oeuvres d'arts de grands artistes, en fonction des goûts, et conserver ces créations dans des caisses hermétiquement fermées. Une démarche que n'aurait pas reniée un personnage de Georges Perec... Le personnage semble vouloir dire que s'il n'a pas réussi à dire au monde ce qu'il souhaitait, ce n'était pas aux grands maîtres du passé de le faire à sa place.
De Pascal à Ferdinand, un parallélisme peut donc être tracé, au-delà des années puisque Ferdinand est de la génération des Gustave Eiffel alors que Pascal est un homme du XXIe siècle. Ce parallélisme naît du développement d'une stratégie personnelle désespérée, née du dépit de n'avoir aucune prise directe sur le monde. Echec de l'art? Telle est la question.
Fonctions des successions
Quant aux successions évoquées par le titre, elles signalent les héritages. Ceux-ci peuvent être purement matériels comme ce fut le cas pour Ferdinand, héritier d'une dynastie d'industriels richissimes, ou plus diffus: après tout, Pascal Klein est l'héritier d'un seul objet de valeur, à savoir un tableau méconnu de Chagall - dont la valeur est, pour Pascal Klein, essentiellement sentimentale. Quant à son héritage, c'est plutôt du côté du passé familial qu'il faut le chercher.
La conclusion du roman interroge par ailleurs le lecteur sur la valeur réelle d'un héritage matériel. Va-t-on jusqu'au Japon pour voir brûler la toile reçue de son père, à laquelle on tient tant? L'auteur ouvre une porte en laissant entendre que si les tableaux d'artistes sont de grande valeur, il y a peut-être quelque chose de mieux encore à vivre: la paix enfin retrouvée, avec soi-même et avec ses semblables.
Mikaël Hirsch, Les Successions, Paris, L'Editeur, 2011.
En librairie le 25 août 2011. Challence % littéraire 2011, 1/7.