C'est à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle que tout commence et tout finit dans le roman "Transit"
d'Abdourahmane A. Waberi, paru en 2003. Originaire de Djibouti, vivant en France, c'est de ces deux pays que l'auteur parle, dans une langue vivace et diverse où les voix se côtoient en une
manière de polyphonie nimbée de khat, autour d'un certain Bachir Benladen - un pseudonyme, bien sûr...
... pseudonyme encombrant dans un aéroport français, on le devine, mais ça, le personnage, qui parle à la première personne, ne le sait pas au moment où il quitte Djibouti. L'auteur campe là son
personnage le plus haut en couleur, un ancien combattant loyaliste au verbe fleuri, tortueux et torturé, où les articles sautent, où les mots se disloquent et se reloquent, où les hyperboles se
retrouvent à la pelle. Pour évoquer les horreurs de la guerre civile, c'est indiqué... Pour évoquer les conflits, le personnage de Benladen recourt volontiers aux images et aux icônes du
football. La guerre a ainsi ses scores vierges (si ce n'est en morts), ses balles au centre, ses arbitres même.
Le lien avec les autres personnages qui s'expriment dans ce roman n'est pas évident à établir. Leur récit semble plus apaisé, ou en tout cas moins violent, ce dont témoigne une langue plus
apaisée, moins fruste, qui fait contraste et reste vivace. La Française Alice se retrouve ainsi régulièrement associée aux musiques actuelles, qu'elle écoute lors d'un voyage d'études à
Djibouti. Ainsi vont chacun de ces personnages, créant tour à tour un récit - qui peine à se dégager, cependant: il faut bien avancer dans le récit pour savoir qui va se frotter avec (voire à)
qui, quelles sont les histoires de famille qui vont naître de l'interaction de gens qui, a priori, n'ont rien à faire entre eux - pour ainsi dire des personnages en quête d'une histoire.
La structure globale du roman a, enfin un aspect étonnant: il comprend un très long prologue et un bref épilogue... mais pas de "logue" au milieu. Est-ce, pour l'auteur, une manière de dire qu'au
fond, les hommes et les femmes qui se croisent dans ce récit n'ont pas vraiment d'histoire digne d'être racontée? Leur histoire est-elle aussi banale et impersonnelle qu'un hall d'aéroport où se
croisent réfugiés arrivants et réfugiés expulsés puis oubliés?
C'est pourtant bien à travers tous ces sans-nom (au début, Bachir n'a même pas de pseudonyme; d'autres personnages sont désignés par des appellations aussi curieuses
qu'Abdo-Julien) qu'il dépeint la misère sociale d'un pays devenu indépendant en 1977, au travers d'un livre aux chapitres brefs et compacts, qui exige certes un effort de lecture (pas
évident de parcourir les tribulations de Bachir Benladen!). Un effort dont le lecteur se verra récompensé.
Abdourahman A. Waberi, Transit, Paris, Gallimard/Continents noirs, 2003.