"Une belle brochette de raclures": cette expression est tirée de "Raklur",
de Sébastien Bouchery. Elle résume à elle seule le trait de caractère commun à la plus grande part des personnages de ce roman - le quatrième que l'auteur, également éditeur, signe. Paru dans le
sillage de la rentrée littéraire 2011, il s'agit d'un thriller musclé et un peu gore, qui exige du lecteur quelques talents de tout-terrain...
... du point de vue des bémols, on relèvera un nombre certain de coquilles et de maladresses de plume évitables. Quelques imprécisions et éléments étranges viennent hanter le récit: il est par exemple difficile d'imaginer l'éjection du chauffeur, donné pour mort, du bus accidenté et couché sur le côté. Cela, sans compter un pasteur fou qui, bien que protestant, semble vouloir rendre des comptes au Pape. Cela laisse un petit goût d'inachevé, brut de décoffrage, au livre.
Mais "Raklur" se laisse lire, et même dévorer. Plus encore: les pages se tournent toutes seules. C'est que l'auteur sait raconter une histoire en ayant le souci d'accrocher. Son style simple et efficace claque bien, les descriptions sont volontiers visuelles et permettent de se faire facilement une image des personnages. Et de quoi s'agit-il? L'auteur met en scène quelques rescapés d'un accident de bus, coincés dans jardin zoologique désaffecté pendant une nuit de tempête de neige hyper-glaciale, loin de tout, à une époque (1992) où n'existaient ni le GPS, ni les téléphones portables. Savoir qu'il y a vingt ans, on pouvait se retrouver coincé sous la neige entre la Loire et le Puy-de-Dôme a, c'est le cas de le dire, quelque chose de glaçant...
Le lecteur sera frappé par un élément intrigant: tous les survivants de l'accident de bus sont des personnes aux penchants inavouables. Tous sont odieux, comme par hasard. Cela, l'auteur le dévoile et l'explique progressivement, et c'est adroit de sa part: il crée un rythme en faisant alterner des scènes de neige et des flash-back montrant les survivants en action dans leur vraie vie. Etape par étape, le lecteur découvre leur vraie nature - une vraie galerie des horreurs où l'on croise une critique gastronomique cannibale, un médecin légiste nécrophile, un pasteur fou, etc. Par le choix d'un vocabulaire choisi, l'auteur n'hésite pas à condamner vivement de tels comportements.
C'est à travers le point de vue de Gus que le lecteur est invité à vivre ces péripéties. Gus, l'assassin, le repris de justice... qui a cependant tendance à se croire meilleur que les autres. Suffisamment, en tout cas, pour se poser en leader du groupe et se montrer particulièrement attiré par les deux personnes apparemment saines d'esprit embarquées dans cette galère: Mascha et sa fille. Une fille qui va survivre à une action présentée comme mortelle, et va être le canal par lequel le lecteur sera informé du fin mot de l'affaire.
Sont-elles vraiment humaines, ces raclures? Le fait de les rassembler dans un jardin zoologique laisse entendre que non - comme si c'étaient, en fin de compte, des bêtes juste bonnes à être emprisonnées et jetées en pâture à des visiteurs voyeurs. Présentées comme un huis clos, les cages du zoo préfigurent ainsi les geôles dans lesquelles on a envie de jeter ces personnages, terribles sous un vernis souvent respectable qui s'effrite peu à peu. Le titre "Raklur", c'est, enfin, une manière de décrire qui a le mérite de la clarté. Le lecteur découvrira, en fin de récit, la raison d'être du tilde inversé que porte le "a" du titre.
Sébastien Bouchery, Raklur, Veauche, Eastern Editions, 2011.
Lu dans le cadre du défi "Pour-cent de la rentrée littéraire 2011".