L’entrée en matière de ce recueil d'articles à vocation scientifique interpelle illico le grand public : au fond, c’est d’un sujet familier qu’il va être question au fil des 220 pages de ce livre. Cette interpellation suggère que le tourisme est une activité anecdotique et superficielle – alors que pour certains acteurs, il n’en est rien. Orchestré par Cédric Humair et Laurent Tissot, cet ouvrage s’attelle à montrer l’émergence d’une image d’Epinal typiquement suisse en matière de tourisme, propre à attirer du monde venu de loin.
C’est qu’au dix-huitième siècle déjà, l’image de la Suisse comme lieu touristique se cristallise. Dans une introduction imposante qui part de la définition du touriste, Cédric Humair dresse un état des lieux. Il démontre une évolution qui voit la Suisse passer du statut de pays de transit à celui de destination touristique. Ce changement de statut est dû à l’évolution de la vision du pays par les étrangers et par l’évolution de leur vision en Suisse – une évolution partiellement impulsée par les artistes. Les étrangers qui viennent en Suisse sont ainsi imprégnés d’une vision romantique du pays : nature indomptée, beauté des lacs et des montagnes, proximité de la nature, etc. Un tel état des lieux permet à l’auteur, même profane, d’acquérir un certain savoir des enjeux du tourisme d’un point de vue historique.
L’ouvrage propose ensuite des études de cas particuliers, époques ou sujets spécifiques – sous des aspects parfois inattendus. Mathieu Narindal se penche par exemple sur la question des établissements de jeu sur l’Arc lémanique : quelle quantité, sous quelles conditions, et quels sont les enjeux éthiques ? Sociales, de telles questions sont le reflet de l’affrontement entre deux conceptions de la morale autour du jeu des « petits chevaux ». Plus inattendu encore est ce chapitre sur l’irruption des ascenseurs… un progrès technique qui nous paraît parfaitement anodin mais qui, en un temps où il n’allait pas de soi, a contribué à l’émergence des palaces de la côte lémanique. C’est un exemple, parmi d’autres, de ce que la technologie peut apporter.
C’est que les progrès technologiques sont, selon les auteurs de ce livre, une constante de l’évolution du tourisme en Suisse. De près ou de loin, d’autres cas sont mis en évidence : l’électrification de l’éclairage des bateaux de la CGN, le développement des chemins de fer à crémaillère, le développement du tourisme médical – un domaine présenté sur la base de force sources scientifiques, y compris les noms des médecins, parfois renommés, qui ont fait progresser ce domaine.
Le lecteur découvre ainsi un monde qui sait s’étendre, au fil du temps, et exploser quand l’opportunité est là. Scientifique et historique, la démarche se concentre sur ce qui se passe avant la fin de la Seconde guerre mondiale, et n’aborde pas, si ce n’est par allusions, le phénomène de la démocratisation du tourisme. Dommage ! Mais le lecteur est sans aucun doute transporté par les palaces construits sur les rives du Léman – une région que les auteurs privilégient pour leur étude.
Au terme de cette balade nourrie de mille sources scientifiques, le lecteur sera convaincu que le tourisme est formellement une inventions suisse, l’imagerie que la Suisse présente à l’étranger étant une vision d’Epinal, diffusée hier comme aujourd’hui (voir la contribution de Raphaëlle Ruppen Coutaz) sans rapport avec la réalité des personnes qui y vivent. Le tourisme n’est-il alors que la vision d’une façade, d’un spot publicitaire d’une minute à peine ? A l’aide d’exemples puisés sur la promotion suisse du tourisme sur Internet, Laurent Tissot suggère, dans sa conclusion, quelques pistes et stratégies allant dans ce sens.
Collectif, Le tourisme suisse et son rayonnement international, Lausanne, Antipode, 2011.
Contributions de Cédric Humair, Laurent Tissot, Mathieu Narindal, Roberto Garavaglia, Raphaëlle Ruppen Coutaz, Julie Lapointe Guigoz, Stefano Sulmoni, Florian Kissling, Françoise Breuillaud-Sottas et Marc Gigase.
Le présent billet a été rédigé dans le cadre d'un partenariat, avec la complicité des Agents littéraires et des éditions Antipodes, que je remercie.