Roman policier, aussi lu par Amanda Meyre, Cécile, Les Gridouillis, L'Orme, Mes Lectures, Mystère Jazz, O. Roumieux.
Défi Thriller.
C'est Jean-Bernard Pouy qui a signé le premier opus du Poulpe, une série appelée à une longévité incroyable puisque près de 300 romans policiers mettent en scène Gabriel Lecouvreur, personnage principal de la série. Le lecteur averti restera cependant étonné de la fortune du personnage et de son univers, vu ce qu'il aura trouvé dans "La petite écuyère a cafté", premier roman - et donc péché originel - de la série.
Se proposant de démonter les rouages simplistes d'un pseudo-suicide organisé avec la complicité bien involontaire de la SNCF (mais on ne comprend pas très bien pourquoi), la lecture de ce premier roman d'une longue série s'avère indispensable pour les fans en devenir et pour ceux qui, après coup, s'intéressent à la figure du Poulpe. L'auteur plante en effet le décor avec une insistance qui ne sera plus nécessaire dans d'autres épisodes. Il décrit l'ambiance et la clientèle de l'établissement public "Le pied de porc à la Sainte-Scolasse", donne une première esquisse à peu près convaincante des personnages appelés à devenir récurrents dans la série, met en scène les fondamentaux. Le ton est donné: il y a de l'humour, des jeux de mots potaches ou (faussement) recherchés. Enfin, force est de noter que l'auteur trouvera dans "La petite écuyère a cafté" quelques pages d'un intérêt littéraire supérieur à la moyenne, par exemple celles où l'auteur file délicatement la métaphore de la tauromachie en mettant le Poulpe en présence d'un personnage surnommé Le Toréro. Et puis, il y a bel et bien une ou deux écuyères dans l'histoire. Mais il faut bien chercher.
Le mauvais rôle assigné aux catholiques
Ce roman accuse cependant ses faiblesses. Sa brièveté implique d'imposer au lecteur un univers qui est celui de l'auteur, construit par clichés. Et à l'inverse d'un Dan Brown qui emmène son lectorat dans des clichés bien à lui qu'il expose et développe, l'auteur de "La petite écuyère a cafté" compte sur le lecteur pour amener les siens, si possible simplistes, comme dans une auberge espagnole idéologique - et si ces clichés émanent d'une vision gauchiste du monde, ça marchera encore mieux. Au fond, donc, et pour tout dire, ce roman, c'est "Le Poulpe contre les cathos-tradis", le Poulpe étant considéré comme un gentil, les cathos (en l'espèce, des notables de province, l'essentiel de l'action se passant à Dieppe) comme des méchants placés face à leurs contradictions (chez ces gens-là, on ne se suicide pas, on n'avorte pas, mais alors que reste-t-il? Euh, là, l'auteur reste court!). Evidemment, les cathos votent Philippe de Villiers, qui serait la version "clean" de Jean-Marie Le Pen mais relève d'une extrême-droite qu'on diabolise un peu trop facilement, en tout cas dans ce roman... un peu facile, tout ça.
Mais au fond, donner à des activistes catholiques anti-avortement le rôle des méchants, c'est encore concevable, même si ça fait grincer des dents. Ce qui est plus gênant, c'est le manichéisme entre "les bons et les méchants", lourdement affirmé. Celui-ci débouche sur un amalgame crasseux entre cathos et fachos (p. 99). Un lecteur peu au parfum pourra certes rapprocher les deux; mais un lecteur sciemment fasciste (il en existe encore), catholique convaincu (il y en a plus qu'on ne le croit) ou, en définitive, un lecteur normalement constitué ne pourra que crier à l'imposture ou à l'impossible rapprochement.
Le méchant, lourdement jugé
Déjà facile en soi, devenue un procédé à la longue (à quand un Poulpe contre les Black Blocks, les post-staliniens en furie ou les Antifas de la Reitschule de Berne? Si vous savez des rumeurs dans ce sens, je suis preneur), cette démarche est encore alourdie par un auteur qui ne trouve rien de mieux à faire que de souligner au feutre rouge vif le caractère mauvais des personnages qu'il a décrétés tels. La phrase "Elle réagissait comme l'ordure qu'elle était" révèle ainsi au lecteur ce qu'il sait déjà - et lui suggère, incidemment, qu'il est un peu demeuré et a besoin qu'on lui rappelle quel est le "bon camp"... même s'il a peut-être, pour des raisons toutes personnelles, choisi l'autre depuis longtemps. Mieux eût valu, pour cet auteur qui semble pencher d'un seul côté, respecter une stricte neutralité de point de vue. Et puis, pour un écrivain, quoi de plus jouissif que d'imaginer les partisants de tel ou tel camp s'écharper dans le cadre de son roman?
Quoi. alors? Ce roman bancal, présenté comme un polar populaire, a apparemment connu le succès puisque son personnage principal, Le Poulpe, a connu moult aventures, sur papier recyclé et au cinéma. Mais précisons les choses: si le personnage de Gabriel Lecouvreur a connu le succès, je reste très étonné de savoir que "La petite écuyère a cafté" ait décroché le Prix Paul Féval de la Littérature Populaire 1996. Il faut croire que le jury roupillait... ou qu'il était disposé, cette année-là, à primer un roman dont le personnage principal fonctionnait essentiellement, mécaniquement sur deux ressorts: l'intuition et la violence. Ce qui, on l'admettra, exclut l'intelligence et l'esprit de finesse...
Jean-Bernard Pouy, La petite écuyère a cafté, Paris, Baleine, Editions Baleine, 1998.