... ou le premier? Premier,
en tout cas, Carles Casajuana l'a été un jour en décrochant le prix Ramon Llull en Espagne pour son roman "Le dernier homme qui parlait catalan", qui vient d'être traduit par Marianne Millon et
d'être publié aux éditions Robert Laffont (collection Pavillons). Le propos de l'auteur, autant que son langage, sont d'or: l'intrigue minimale de son roman constitue un substrat idéal pour son
propos.
Le rideau s'ouvre sur une scène qui pourrait être celle d'un roman à suspens: l'écrivain Balaguer, personnage principal, trouve un "indice" dans son immeuble, sous la forme d'un pot de
yaourt vide. Indice troublant, puisqu'il est le dernier homme à vivre dans le bâtiment, et qu'il est assiégé par son propriétaire. On devine ici sans peine le parallèle entre "le dernier occupant
d'une maison" et "le dernier homme qui parlait catalan"... qu'on verra émerger au chapitre 2, sous la plume de la réponse à l'indice - à savoir le deuxième occupant de l'immeuble, un squatter
écrivain nommé Rovira.
Tout est en place pour l'affrontement... en effet, Balaguer écrit en castillan, Rovira en catalan, et ce dernier, bien que moins expérimenté que Balaguer, s'est posé plein de questions sur le
rapport de l'écrivain à la langue. Et c'est là que ce roman gagne tout son intérêt: quelle langue choisir quand on est catalan? Opter pour le catalan au risque de n'être lu que par quelques rares
amateurs ou choisir le castillan et se plonger dans un bain qui n'est pas le sien, au risque de perdre de la précision dans les choses dites. Balaguer ne s'est pas posé toutes ces questions, et
s'y retrouve confronté de manière très directe dès lors qu'en face de lui, Rovira joue les catalanophones militants.
L'affrontement est cependant aussi une nourriture pour les deux écrivains. Le lecteur est en particulier invité à observer l'évolution des réflexions de l'écrivain Rovira en train de concevoir
son récit: quel nom donner à son personnage de dernier locuteur catalan? Quel sera son métier? L'ouvrage propose ainsi un coup d'oeil sur une oeuvre en train de naître. L'oeuvre de Balaguer, en
revanche, reste discrète. L'auteur prétend cependant avoir besoin de rester dans son appartement vétuste pour l'achever - alors que son copropriétaire souhaite rénover tout l'immeuble. A l'instar
de la langue catalane, Balaguer fait donc figure d'assiégé... alors que, paradoxalement, il écrit en castillan. Quant au squatter, il donne l'impression de défendre une langue aussi prohibée que
l'activité de squat.
Tel est le jeu de miroirs qui constitue la charpente de cet ouvrage. L'auteur met en scène un écrivain en train de rédiger un roman qui porte le même nom que celui que le lecteur est en train de
lire; mais il ne pousse pas la mise en abyme jusqu'à faire du dernier homme qui parlait catalan un écrivain. Ce n'était pas nécessaire: l'exercice suffit, ainsi, à poser quelques questions
fondamentales auxquelles tout auteur devrait réfléchir. Cela, sans oublier, bien sûr, la question de la mort des langues, perceptible dans la réalité catalane (peu d'inscriptions en catalan) et
dans celle que Rovira crée dans le cadre de son travail d'écrivain.
Carles Casajuana, Le dernier homme qui parlait catalan, Robert Laffont, 2009, traduction de Marianne Millon.
Sur la mort des langues, lire également l'essai Halte à la mort des langues de Claude Hagège.
Le présent ouvrage a été commenté à la suite d'un partenariat organisé
entre le blog Blog-o-Book, incontournable pour les
blogolecteurs, et les éditions Robert Laffont. Je remercie ici ces
deux organisations, une fois de plus.
Il constitue par ailleurs le sixième ouvrage (sur sept requis) de mon challenge du pour-cent littéraire, organisé par La Tourneuse de Pages.