Lu par Prix Virilo.
Les blogs de l'auteur et de l'éditeur.
Lu dans le cadre du défi de la rentrée littéraire.
"Suis-moi, je te fuis; fuis-moi, je te suis": c'est à ce proverbe devenu classique qu'on pourrait, à l'extrême, résumer le premier roman de Myriam Thibault, qui faisait déjà partie de la rentrée littéraire 2010 avec son recueil de nouvelles parisophile "Paris, je t'aime". Fidèle à son éditeur Leo Scheer, l'écrivain tourangelle offre ici une balade dans un Paris version hype, à la poursuite d'un homme qui poursuit une femme avant qu'elle, à son tour, ne se mette à le rechercher alors qu'il a laissé tomber.
L'ouvrage s'ouvre sur un exercice de style périlleux, que l'auteur réussit: se glisser dans la peau d'un homme de médias fameux et empreint de suffisance - et d'orgueil, disons-le. "Mon boulot? Etre insolent et cynique.", dit-il fort à propos (p. 12), rappelant la caricature du "Parisien tête de chien". A cela vient s'ajouter le stéréotype de l'homme prédateur, considérant les femmes comme des "créatures" (p. 14) et dédaignant les "demi-beautés" (p. 20). Pour appuyer le trait, l'auteur glisse dans la bouche de ce personnage masculin des réflexions telles que l'euphémisme peu délicat "physique pas facile" (p. 21) ou, plus vache encore, la remarque "Le genre de fille inintéressante au possible, qui ne sert qu'à..." - et le lecteur est invité à imaginer la suite. Autant de tournures trouvées très à propos pour mettre en scène un personnage peu attirant et exposer un certain regard porté sur les femmes. Il fallait bien un personnage odieux pour, dans un premier temps, faire fuir la femme qu'il poursuit de ses ardeurs, et le portrait que l'auteur en dresse est fort et convaincant.
Face à lui, du coup, la femme, Daphné, paraît un peu pâlotte. Cela tient sans doute à ce qu'elle est: une femme divorcée élevant seule un enfant, une figure parisienne relativement ordinaire (même si elle a accès à des milieux goûtant au paraître) pour lequel une approche trop typée paraîtrait vite boursouflée. Son ex-mari lui-même paraît navrant, obligé qu'il est d'utiliser un texte de Benjamin Biolay (cité in extenso, ce qui est long, d'autant plus que le roman pèse tout juste 104 pages) pour s'adresser à son ancienne conjointe. Une telle personne ne peut que finir victime d'un prédateur tel que l'homme du récit. Certes, leur relation n'aboutira pas; mais la troisième partie, "Chronique nocturne", indique la manière dont l'homme exploite sa rencontre.
Et puis, il y a la présentation d'un Paris hype... cette mise en scène culmine avec la visite d'un bar branchouille dont le caractère "à la mode" gomme assez mal les inconvénients, en particulier sa petite taille et son hygiène toute relative - le Paris à la mode, le Paris des vedettes n'est-il qu'une façade? interroge ici l'auteur, en filigrane. L'écrivain prépare le terrain, en particulier en recourant à un procédé devenu classique: le namedropping, ou parachutage de noms. Il est parfois excessif (on pense au carnet d'adresses de Daphné, p. 33, ou à la description de sa bibliothèque, p. 78, longuement cités). Le lecteur préférera la mention discrète de noms et de marques qui, par l'imaginaire qu'elles révèlent, suffisent à suggérer un contexte: un stylo Montblanc, par exemple, ou des chaussures de danse Repetto.
C'est cependant ainsi que l'auteur dépeint, au long d'un roman après l'avoir fait au fil de nouvelles, l'image d'une certaine Ville-Lumière dont les scintillements, pas toujours bien consistants, font encore rêver des millions de personnes dans le monde entier. Mais qu'y a-t-il au-delà des apparences? L'orgueil, l'envie de paraître, par exemple en bouclant un reportage bien craché, surpasse parfois un désir légitime, engendré par un "tango parisien" né entre deux personnages au détour d'une peu discrète séance de drague de rue. "Orgueil et désir" comporte certes quelques longueurs, quelques faiblesses; mais son propos est cohérent et, au-delà des personnages mis en scène, brosse avec pertinence, débarrassée de la relative naïveté qui nimbait "Paris, je t'aime", un Paris à la fois attrayant et prédateur. Et si Paris, au fond, c'était un peu l'homme de médias qui parle ici? En tout cas, on se réjouit, ici, de retrouver cet auteur dans de nouveaux textes.
Myriam Thibault, Orgueil et désir, Paris, Leo Scheer, 2011.