Recueil de nouvelles, commenté par Clara, La Plume, Serendipity.
Avec sa couverture rouge vif, le recueil de nouvelles "Selon toute vraisemblance" de Laurent Graff ne devrait pas passer inaperçu en librairie. Bonne initiative de l'éditeur, Le Dilettante, qui a sans doute opté pour cette teinte bien voyante afin d'offrir un supplément de visibilité à ce livre. Mais initiative paradoxale également: "Selon toute vraisemblance" aborde, au travers de dix nouvelles de longueurs variables, le thème de l'effacement. Sujet qui ressemble fort à la discrétion de l'auteur, dont on apprend seulement, en lisant la quatrième de couverture, qu'il est né en 1968. Effacement, mystère même...
... mystère qui s'incarne dès le premier texte dans le personnage de Claude Chienchien, à peine nommé, résumé à sa fonction de client mystère travaillant à débusquer incognito les faiblesses du personnel des grandes surfaces. L'auteur dépeint ici un personnage des plus effacés. D'abord, sa discrétion reste concevable: homme portant un nom passe-partout, arborant un physique qu'on ne remarque pas, jouant les fantômes de par son métier, mais aussi volontairement sans relief dans sa vie privée: pas de loisirs, à peine un peu de photos, mais là encore, c'est aux objets infra-ordinaires qu'il s'intéresse. Puis l'on va plus loin vers l'invraisemblable, puisque Claude se retrouve, à un certain moment, face à une porte automatique qui refuse obstinément de s'ouvrir à son passage. Il élit donc domicile dans le magasin... La structure narrative de la première nouvelle représente toutefois un paradoxe: si Claude cherche à s'effacer par tous les moyens, il se distingue cependant de ses semblables en parlant... de lui - et, par ce simple fait, en érigeant sa destinée en exemple. Exemplarité telle que le personnage revient dans la dernière nouvelle, qui boucle le récit et porte le même titre que la première: "Rapport de visite".
C'est dans "Rapport de visite" deuxième mouture que revient le personnage d'Alpha, protagoniste de la poignante nouvelle "Vie d'un mort-né". Titre paradoxal! Le lecteur y trouvera beaucoup de poésie, ainsi qu'une réflexion graduelle sur une personnalité qui se construit tout au long de la grossesse, tant celle de l'enfant à naître que la projection que s'en fait la mère dans son coeur et dans son esprit, à partir même du choix de son prénom. "Je suis un souffle d'air, un brin de vent, une pincée de ciel", commence cette nouvelle exemplaire. "Le petit Alpha resterait à jamais une créature imaginaire, un désir, un songe, une chimère", répond l'auteur vers la fin.
Les effacements peuvent aussi avoir un goût insolite qui fera sourire le lecteur. On pense au destin de cet homme qui, confiné dans une pièce avec un couteau à la suite d'un accident, se mange pour survivre - un côté "fait divers" affirmé au moment de la chute de la nouvelle. On songe également à Delphine, dont la maladie consiste à perdre des lettres de son nom de famille. Or, se perdre ainsi, n'est-ce pas perdre une part de sa personnalité? Part profonde, parce qu'héritée des parents, ou de ceux du conjoint puisqu'elle divorcera et se mariera après consomption du nom de ses conjoints successifs, qu'elle a systématiquement repris.
Joli cycle de nouvelles, donc, parfois poignant, parfois souriant. Tout le temps, il est porté par un style très sobre qui se lit facilement et met en valeur, fort à propos, le côté à la fois éminemment ordinaire (comme les silhouettes noires qui illustrent la couverture) et profondément exemplaire des personnages mis en scène.
Laurent Graff, Selon toute vraisemblance, Paris, Le Dilettante, 2010.