Enigmatique titre que celui du dernier roman policier fantastique de Laurent Brard! "Le Fils des brûlés" se situe à la croisée des chemins. Sa structure, son propos permettent de
dire de ce texte qu'il crée un pont entre le genre fantastique et le roman policier. Un pont plausible et paradoxal à la fois: alors que le fantastique cultive l'incertitude (réel ou
imaginé?), le policier a pour principal objectif de tirer les choses au clair. Pourtant, au début, rien ne les distingue: l'incertitude règne...
Tel est l'un des traits particuliers de ce roman policier - un genre où il n'est pas forcément évident de se démarquer de la concurrence, qui est rude. Une autre caractéristique est ici la mise en scène d'un policier, Oscar Bellem, qui n'a pas la vocation et a mené sa carrière un peu à la manière d'un burelain. Résultat: lorsqu'il est confronté à la crise, il tend à ne pas la prendre au sérieux. Résultat: une morte, Cécilia, fugueuse, dont la mère l'avait appelé un moment plus tôt, inquiète. L'affaire va poursuivre Bellem jusque dans sa nouvelle affectation à Sarole, un bled de la France profonde où, a priori, rien ne se passe - une eau qui dort dont il convient de se méfier. Et là, l'impéritie de l'enquêteur Oscar Bellem va continuer de faire des merveilles...
Oscar Bellem est plutôt bien entouré, si l'on ose le dire ainsi: à Sarole, son chef, Castaldo, semble être un de ces personnages non licenciables mais placardisés pour cause de bavure majeure. Au sein de la police, il peut compter sur un allié fidèle et loyal, quoiqu'un peu falot: Delorme, qui lui fournira quelques informations. Sur cette base, Oscar Bellem fait le lien entre l'histoire d'un jeune homme, Antoine Foubert, qui a tué son père et sa mère avant de fuir et de devenir cinglé - le seul événement qui soit arrivé à Sarole, si l'on excepte l'incendie de la ferme des Foubert, événement lié. Le feu, à la fois destructeur et purificateur, est ici utilisé comme symbole, et c'est la moindre des choses vu le titre de ce roman: pour les villageois, l'élimination de la ferme par le feu est perçu comme une purification. Mais elle laisse deux scories: Antoine, qui survit tel un légume ambulant, et sa soeur, intégrée à la société mais mutique. Et la fin du roman réservera un sens supplémentaire au titre...
Les ressorts du roman noir sont du reste bien présents dans "Le fils des brûlés". L'action s'avère mystérieuse, l'enquête d'autant plus difficile que les gens du cru se montrent aussi peu bavards que possible au sujet du passé inavouable de leur cité. Il y a aussi, bien sûr, la présence d'un "fantôme", correspondant mystérieux d'Oscar Bellem, qui va le remettre sur la piste du meurtre des Foubert. C'est cependant la religion catholique que l'auteur utilise comme pivot pour basculer vers le fantastique. Un personnage ouvre la porte de cet élément: le frère Mathieu, curé mal embouché qui cache quelque chose... ou quelqu'un. Est-ce un sorcier? Un suppôt de Satan? Certains événements se déroulent entre les croix du cimetière. Et pour ne rien enlever, les croix se multiplient, avec leur cortège de symboliques. Enfin, si c'est à l'église, parmi les crucifix et les prie-Dieu, que se situe le meilleur du dénouement, ce n'est pas un hasard non plus.
Et que penser de l'apparition récurrente d'un corbeau lorsqu'il est question d'Antoine Foubert, le fils interné? Il est intéressant de noter qu'en la matière, l'auteur comprend parfaitement le double sens du terme: si Antoine Foubert est régulièrement mis en présence d'un volatile, Oscar Bellem doit faire face à un corbeau du genre qui lance des appels téléphoniques et des messages électroniques anonymes. Un corbeau fantomatique, si l'on ose dire: Bellem ne connaîtra pas le visage de "son" corbeau avant la fin de l'histoire.
Par-delà les corbeaux, l'alcool exacerbe ici la duplicité du sens de nombreux symboles - et l'on ne se gêne pas de vider son verre. La bière descend certes toute seule; mais il y aussi, page après page, le souvenir de ces gnôles régionales si fortes qu'il est imprudent d'en boire plus qu'un verre. L'auteur joue ici avec force sur les visions inédites que l'esprit de vin peut apporter à ses personnages - une manière comme une autre de dépeindre l'accès à une réalité autre, à des sens cachés ou (im)probables.
Construit selon une structure proposant deux histoires en parallèle, le récit livre rapidement le nom de l'assassin des parents Foubert. dès lors, l'intérêt du "Fils des brûlés" réside davantage dans la manière, adroite et fine en l'occurrence, dont les deux histoires d'homicide présentées (celle des Foubert, celle de Cécilia, sans lien a priori) vont se rapprocher l'une de l'autre. On l'a compris: cela est mené avec beaucoup d'habileté, dans des ambiances nocturnes, pour ne pas dire fuligineuses, encore soulignées par l'inquiétude que peut susciter, pour certains, la lecture de légendes issues de la province profonde.
Laurent Brard, Le Fils des brûlés, Paris, Plon, 2010.
Roman lu dans le cadre d'un partenariat entre Livraddict et les éditions Plon, que je remercie ici.