Roman autopublié, lu par Morgana, Mu.
Lu dans le cadre des défis Premier roman et Rentrée littéraire.
Blog de l'auteur: Egomet. Disponible sur Lulu.com.
Un peuple en décadence vu par l'un des siens, lui-même en décrépitude à mesure que s'avancent les jours de sa vie. Tel est le programme que propose Stanislas Kowalski, écrivain lyonnais, dans son premier roman, "Testament d'une race". Le point de vue adopté pour ce texte est en grande partie militaire. L'auteur frôle le genre épique à sa manière; à sa manière également, c'est un ouvrage atypique de la rentrée littéraire 2012, qui ambitionne de créer un monde. Rien que ça!
Un peu d'onomastique
Pour créer un monde, ou du moins ses grands axes, le romancier privilégie deux voies: l'onomastique des personnages et, dans une moindre mesure, des lieux. A son actif, on notera que l'auteur ne puise pas aux sources trop sollicitées du domaine celte pour donner des noms et prénoms à ses personnages: au contraire, ses bonshommes portent des noms aux racines grecques facilement lisibles pour ceux qui ont touché un peu de grec ancien au cours de leurs études. L'auteur ne va pas jusqu'à exploiter le potentiel de l'onomastique hellénique pour donner à ses personnages des noms révélateurs - gagnant ainsi en réalisme pragmatique ce qu'il perd en sens profond, tant il est vrai que le sens profond des noms que nous portons n'est pas toujours en phase avec ce que nous sommes, vivons, ressentons.
Cela dit, quelques noms n'ont rien à voir avec le grec ancien, à commencer par celui du narrateur, Kuntala, et ceux de quelques personnages mis en valeur par la narration: Karm, Borfier - des proches de Kuntala, comme par hasard. Le lecteur est amené à comprendre que les personnages dont le nom n'est pas construit sur une étymologie grecque ont un rôle particulier à jouer. Bonne pioche: Borfier et Karm sont des proches de Kuntala - à leur manière, fort personnelle, de francs-tireurs.
Un nom, enfin, est bien trouvé dans la veine classique: le peuple ennemi de ceux de Kuntala est nommé "Locustes". Un nom qui désigne un certain type de criquets... et s'avère donc parfait pour nommer un peuple vorace. Or, c'est justement pour une question de subsistance alimentaire qu'une guerre commence entre les Locustes et le peuple de Kuntala.
La création d'un univers
Un univers, ça se crée, et l'onomastique, évoquée plus haut, en est un élément. Le lecteur de "Testament d'une race" aura du mal à rapprocher le monde du roman de quelque chose qu'il connaît, même si chacun des éléments, pris séparément, le guideront vers quelque chose d'immémorial.
Il est ainsi admis que l'action se déroule en des temps anciens, où les armes à feu n'existaient pas; perçues comme normales dans le cadre du récit, les moeurs pourraient paraître plutôt archaïques au lecteur actuel, en particulier en ce qui concerne les relations hommes/femmes (ségrégation, soumission). L'archaïsme s'exprime aussi dans la présence d'aigles comme insignes de combat - comme dans l'armée romaine. Evidemment, de tels éléments se déclinent au féminin - ce que l'auteur sait.
Les vicissitudes d'un registre haut
Récit épique, je l'ai dit... même si dans l'histoire du genre de l'épopée, celle-ci sert surtout à narrer les succès parfois difficiles d'un peuple, et non sa décadence, qui touche au tragique. Ici, la prose opte pour un registre globalement haut, où affleurent des passages en vers. Le lecteur amateur de phrases soignées sera servi!
Reste que certains éléments intriguent, en particulier la présence éparse de mots du registre populaire. L'auteur semble avoir voulu trouver un juste milieu entre le langage cru des militaires et le langage de haut niveau de l'épopée, en refusant de choisir. Le résultat surprend: le lecteur va se trouver face à de très belles phrases, finement ciselées, où apparaîtront parfois des mots de registre populaire (connerie, merde...) qui relèvent plutôt du langage du soudard.
Or, le propos aurait sans doute gagné à trancher en faveur d'un registre ou de l'autre, en termes de clarté du discours: soit c'est vraiment la parole d'un vieux militaire aigri, ce qui autorise un verbe fleuri mais réaliste (en l'occurrence pertinent: Kuntara est présenté comme un vieil officier qui aime le travail de terrain et n'a probablement pas la culture, ni la sagesse, d'un barde), soit c'est la parole de l'aède, auteur d'épopées - ce qui pourrait exiger la mise en scène d'un intermédiaire poète.
Points de vue et distorsions
Le lecteur pourra aussi se sentir un peu désorienté par les points de vue adoptés par l'auteur: dans un premier temps, il préfère se montrer général plutôt que de plonger les mains dans le cambouis du concret et, par exemple, relater des corps-à-corps sanglants. Peu à peu, cependant, on arrive à des peintures précises de certains actes de guerre, réservant à des regards originaux, par exemple celui observant les rapports entre assiégeants et assiégés. Force est de constater que l'auteur s'y connaît en stratégie militaire et que certains de ses points de vue ont une résonance neuve et originale.
Il y a par ailleurs de quoi être surpris lorsque, dans ce qui est finalement un récit de souvenirs d'un militaire, survient une narration dont le ton donne l'impression d'y être - cela, dans une scène de foule (p. 138/139) qui n'est pas franchement cruciale. Pourquoi le narrateur (Kuntara, donc) s'emporte-t-il de la sorte, perdant toute sa distance par rapport au sujet? Cela n'est pas très clair.
Reste que le lecteur peut se faire plaisir dans d'autres pages qui relatent des épisodes qui ont lieu en marge de la guerre: ceux-ci sont souvent empreints d'une émotion certaine (mort d'un être cher, etc.).
... alors, quoi?
Des forces et des faiblesses, alors? J'aurais apprécié une focalisation plus précise et une plus forte résolution dans le choix du registre de langue, qui n'est, on l'a compris, pas innocent sur un tel roman. De même, il n'est pas innocent de parler de "race" dans le titre d'un roman et, vu la teneur du propos, j'aurais mieux vu le terme de "civilisation"; de cela, on peut disserter sans fin.
Mais je me suis aussi laissé emporter par le personnage de Kuntara, un officier qui a ses forces et ses faiblesses et voit son monde s'écrouler. A quelques éléments techniques près, le monde de Kuntara peut emporter l'adhésion d'un lectorat plus vaste... à lui, et à son créateur, Stanislas Kowalski, de remporter cette victoire, victoire littéraire, la seule qui compte et pour laquelle il vaille la peine de se battre.
Stanislas Kowalski, Testament d'une race, Lyon, autoédition, 2012.