Nouvelles, lu par Bouquineuse.
Lu dans le cadre du défi "Rentrée littéraire" (4/7)
"La cité interdite"? Ne cherchez pas, dans le recueil de nouvelles que François Gibault vient de faire paraître aux éditions L'Editeur, une quelconque référence à Pékin. Ici, les interdictions ont un autre parfum - celles de l'univers qui peut s'ouvrir à un personnage dès lors qu'il transgresse certains tabous, qu'il va jusqu'au bout de ses raisonnements ou habitudes. Les histoires que l'auteur propose dans son recueil sont certes inventées; mais l'écrivain est persuadé qu'elles trouveront, une fois ou l'autre, un écho auprès du lecteur. Et force nous est de lui donner raison.
La nouvelle qui donne son titre au recueil, sans doute la plus longue aussi, est probablement, disons-le, la plus riche. Elle fait intervenir le fantastique dans une démarche peut-être déjà vue ailleurs (le personnage principal devient personnage d'un tableau) - et ce personnage, collectionneur aux habitudes bien calées, fait penser, de loin, à un certain des Esseintes. Sur une telle base, l'auteur exploite ce qui est une marque de fabrique: un luxe baroque de détails descriptifs et d'énumérations sans fin qui génère un regard précis sur un petit monde.
La série de nouvelles offerte par l'auteur présente une constante: le lecteur est à chaque fois confronté à des portraits. Il y a un côté baroque et outrancier dans les personnages choisis - qui éclate, de façon formelle, dans le choix constant de noms improbables et de profils étonnants: plus d'un personnage brossé ici est titulaire d'une décoration, ce qui ne le grandit pas, bien au contraire - et constitue, le lecteur averti le comprend, une forme d'autodérision de la part de l'auteur, lui-même Commandeur de la Légion d'Honneur depuis peu. Quoi d'autre? On pense à tous ces personnages qui, de gré ou de force, se retrouvent nus...
... comme si l'auteur voulait montrer une vérité sans fard, sans costume - celui-ci fût-il mangé aux mites comme dans "Un malencontreux courant d'air". La nudité, métaphore de la véracité d'un homme? Ce serait une exégèse possible: souvent, les personnages du recueil commencent leur carrière couverts d'habitudes et d'attributs qui les engoncent. A ce titre, la nouvelle "Germain Maurice Delécluze" intrigue d'emblée: cette nudité, brandie comme un étendard par le personnage principal, apparaît-elle vraiment ou peut-elle se fondre dans l'anonymat de la foule?
Et l'humour noir, alors? Chaque texte pousse ses personnages à bout, quitte à ce qu'ils se suicident ou meurent bêtement. On pense au suicide de Blanchette Legentil dans "Fors l'honneur" - une femme qui ne survit pas à un échec culinaire face à, comme par hasard, un personnage membre de l'Institut, donc a priori de bonne compagnie et de bon goût. Il y a aussi l'issue vacharde de la nouvelle "Un mort de trop", qui démontre en filigrane, de façon originale, l'absurdité de la guerre et d'une certaine justice. Et que penser de la triste destinée de la vieille dame des "Pruneaux du Caire", dont le seul crime est justement d'avoir voulu voir Le Caire? L'auteur s'arrange ici pour lui organiser un voyage à sa ricanante façon...
Les nouvelles sont ici de toutes tailles, souvent rédigées à coups de paragraphes compacts. Le lecteur sourira en coin aux traits d'esprit de l'auteur et sera sans doute convaincu par les distorsions du réel mises en scène. Cela n'empêchera pas tout un chacun de se demander comment il aurait réagi dans des circonstances similaires: un Brueghel à sauver, un homme à séduire alors que le chat fait des siennes, une femme qui, à l'instar de Charles-Valentin Morhange dit Alkan, meurt étouffée sous le poids de sa bibliothèque effondrée, une fidélité absolue dans le cadre d'un mariage avec soi-même... La rouerie de l'auteur des 18 nouvelles de "La Cité interdite" mérite d'être découverte.
François Gibault, La cité interdite, Paris, L'Editeur, 2011.
Lu en partenariat avec les éditions L'Editeur, que je remercie ici.