Lu dans le cadre des défis "Royal" et "Thriller" - un parfait "doublé Liliba"!
Des chiens, des fourmis, et finalement toute une faune qui cherche à se faire son trou dans ce panier de crabes que peut être la banlieue londonienne. A moins que ce ne soit tout simplement un thriller qui cherche à mettre en avant le côté ennuyeux de certains aspects du genre? Je garde un souvenir assez partagé de ma lecture de "Le Roi des fourmis" de Charles Higson, polardeux anglais connu pour un humour grinçant que je n'ai pas retrouvé de façon bien affirmée dans le roman dont il est question ici. Cela dit, il n'y a pas que des défauts dans cet ouvrage, publié en 1992 et traduit en français par Guy Abadia en 2006.
L'incipit au sens large, soit les trois premières pages, paraît quelque peu déroutant, en effet. On y voit apparaître quelques personnages secondaires (Neville, Jason, le Grec), qu'on ne reverra jamais - sans oublier le chien César, qui n'a aucun rôle dans ce roman. Il est dommage que cette scène initiale n'ait pas joué à fond son rôle d'exposition; mais elle a le mérite de renseigner le lecteur sur l'existence d'un personnage principal, Sean Crawley, et la présence d'un tropisme récurrent: celui des animaux, et des chiens. Anecdotique? Oui, jusqu'à la fin, où l'humanité finit par devenir bestiale au moment où l'un des personnages, traumatisé, se met à fonctionner comme un pitbull aux dents acérées. Donc avec ses qualités, certes reconnaissables, et ses regrettables défauts, cette scène aux allures de début de roman social, sans rapport évident avec la suite, retarde un peu l'entrée dans le récit. Pour un thriller, c'est fatal: quelque part, j'ai eu l'impression que le contrat était rompu.
Mais l'auteur va chercher à se rattraper, et cela est méritoire - il se donne de la peine, il en a, et surtout, il prend son temps. Le ton est donné au début (bon, après la scène initiale) lorsque deux personnages, Duke et Sean, discutent de rêves professionnels: Sean aimerait bien être détective plutôt que peintre en bâtiment à la petite semaine, et c'est ce dialogue qui va tout déclencher. Duke va en effet confier une mission à Sean, et dès lors, tout dérape...
Et le dérapage majeur tombe après le milieu du livre, sous forme d'homicide comme il se doit. Entre-temps, le lecteur a de nouveau le loisir de s'ennuyer un peu, et c'est à nouveau gênant même si, d'un point de vue strictement littéraire, à savoir d'adéquation entre le fond et la forme, c'est pertinent. L'auteur a en effet voulu montrer que le métier de détective est avant tout fait de planques ennuyeuses et prenantes, passées à suivre une personne sur la demande d'un client. Dès lors, sur de longues, longues pages, le lecteur va voir évoluer Sean Crawley: boire des bières, lire "Goldfinger" de James Bond (qu'il jette à la poubelle - mais le livre se retrouve miraculeusement à nouveau dans ses mains quelques pages plus loin, par la grâce d'une incohérence), voir ses potes, manger, regarder sa montre. L'ennui est donc dépeint avec un bonheur tel que le lecteur finit par le ressentir... alors qu'il s'attend à quelque chose qui, sans être forcément rythmé, donne au moins l'impression d'avancer. On n'enlèvera cependant pas à l'auteur un certain talent pour installer des ambiances tendues qui révèlent ce que Sean Crawley, présenté comme un raté, a sous le capot. Ou pas, si l'on considère son absence totale de scrupules.
Revenons d'ailleurs sur le statut de raté qu'on prête à Sean Crawley... j'ai plutôt vu en lui un bonhomme qui se contente de peu mais est prêt à défendre ce minimum, quitte à trouver en lui d'étonnantes ressources, qui n'ont en fait rien à voir avec celles d'un raté. Rythmée (enfin!), violente, habile, millimétrée jusqu'à la dernière phrase (géniale!), la deuxième partie de "Le Roi des fourmis" les fait éclater avec brio. La moralité de ce thriller serait-elle qu'il faut se méfier de l'eau qui dort? Et puisqu'on parle de moralité, peut-on aussi affirmer que "Le Roi des fourmis" est hautement moral? Au fil des pages, on voit Sean Crawley, étudiant en rupture de ban, renoncer à l'alcool et chercher à devenir meilleur en recommençant sa vie ailleurs... Ce serait une piste de lecture un brin puritaine, à ne pas perdre de vue.
Au fond, "Le Roi des fourmis" est un roman qui met en scène un personnage infra-ordinaire aux prises avec une adversité qui le met rudement à l'épreuve - et à ce titre, Sean Crawley fait penser au David Miller de "La Ville piège" de Jason Starr (paru chez le même éditeur), sans en avoir le caractère captivant. Il faut un certain temps au lecteur pour comprendre quelle est l'idée du titre du roman, dont on conviendra qu'il a de quoi intriguer, même si la métaphore paraît évidente après coup (indice: la clé se trouve dans un zoo). Après lecture, je conserve donc de ce thriller l'impression d'une bonne idée, servie par quelques trouvailles originales (le filon animalier n'en est qu'une parmi d'autres), mais miné par des choix esthétiques qui nuisent au rythme et à la nervosité qu'on attend du genre littéraire en question. Dommage!
Charles Higson, Le Roi des fourmis, Monaco, Editions du Rocher, 2006.