La triche en classes préparatoires peut-elle faire un bon sujet de roman? Kylie Ravera répond par l'affirmative, et de manière ambitieuse puisque son projet est de publier pas moins de sept romans (oui, comme Joanne K. Rowling avec Harry Potter!) dont l'action, placée sous le signe du suspens, se déroule dans ce milieu. Le projet a d'ores et déjà cinq romans d'achevés, et l'auteur rédige actuellement son sixième opus; quant à moi, j'ai découvert avec bonheur le premier numéro de la série, intitulé fort mystérieusement "La Tentation de la pseudo-réciproque".
Quels sont les arguments de la saga? Pour faire simple, Peter Agor, étudiant en prépa à Pépin-le-Bref, rame et se demande s'il ne devrait pas aller se préparer aux grandes écoles dans une classe plus, disons, conviviale, par exemple à Patapon-le-Petit. Manque de pot, le voilà mêlé à des histoires qui le dépassent, tenant à la fois de l'exégèse poétique, du contre-espionnage anti-triche à grande échelle et, naturellement, de la criminalité et de l'horreur.
Il y a, on le pressent, quelques références illustres dans le projet de l'auteur. En voyant avancer le criminel, masqué comme il se doit, revêtu d'une bure de moine, il est permis de penser aux films "Scream", et cela pose d'emblée le registre farcesque choisi pour le récit. Les questions d'exégèses et le côté "jeu de piste" de l'intrigue rappellent, par instants, certaines pages de Dan Brown; et puis, on pardonnera volontiers à l'auteur d'avoir emprunté à un film comique fameux, signé Patrick Schulmann, l'acronyme "P. R. O. F. S." qui désigne la brigade anti-triche à l'oeuvre dans ce roman. Enfin, la relation qui se tisse entre Peter Agor et Eléanore Marolex peut faire penser aux liens complexes qui existent entre Fox Mulder et Dana Scully (mais oui... les X-Files! Vous vous souvenez?).
On l'a compris: ce roman est foncièrement comique. L'auteur y fait montre d'un sens consommé de la formule qui fait mouche - un sens encore mis en valeur par une narration à la première personne qui permet quelques libertés et relâchements au goût d'oralité. Mais c'est dans le jeu de mots que l'auteur excelle et s'amuse à fond. Certes, il y a les acronymes, qu'on trouve çà et là dans le récit et qui savent faire sourire; mais surtout, le lecteur sera étonné par l'avalanche de noms et prénoms recelant des jeux de mots. Ceux-ci sont parfois abstrus, comme s'il s'agissait d'un jeu de piste, à prononcer à voix haute pour tout comprendre. Peu importe que ça sonne vrai: l'essentiel est que le lecteur se creuse la cervelle pour trouver le gag...
Lecture à voix haute de rigueur, également, dans le magistral exercice poétique qui constitue le coeur de l'intrigue: il s'agit d'un poème en alexandrins de mirliton, certes, mais qui recèle l'une des clés du mystère...
... c'est que sous des dehors farcesques, l'auteur construit une intrigue parfaitement structurée et soucieuse des détails. En fin de récit, le lecteur trouve l'essentiel des réponses aux questions qu'il a pu se poser en cours de roman: on a une main armée (certes venue un peu de nulle part, mais on y croit volontiers - même si toute l'explication en fin de récit, un poil longue et compacte, n'est pas l'élément le plus digeste de ce roman) et un cerveau (plus proche de l'action) et quelques fausses pistes et faux semblants. Naturellement, tout ce qui paraît bizarre trouve une réponse en fin de récit, y compris les détails; la conclusion donnera même une réponse sur l'avenir de Peter Agor en prépa - une question existentielle que tout le monde se pose, après tout. Et au surplus, ce qui reste d'obscur constituera la matière des romans suivants! Les chapitres sont de longueur moyenne, et structurés de manière à constituer, à chaque fois, une certaine unité d'action.
Quant au cadre, il est foncièrement original, et présenté comme tel: les prépas, ce n'est pas une page d'études comme une autre. L'auteur présente le contexte, de façon parfois un peu longue mais toujours instructive; elle parvient par ailleurs à recréer l'ambiance des classes préparatoires en distillant çà et là des théorèmes aux noms hermétiques, le rappel du tableau de Mendeleïev ou la mise en scène de bûcheurs ou de professeurs à la docimologie pour le moins aléatoire et aux méthodes proches de la tyrannie primaire. Cela, sans oublier le jargon inhérent à la filière - ni les explications et anecdotes qui permettent de le comprendre.
Bilan foncièrement positif, donc, pour cette découverte d'un récit rare, premier jalon d'un projet ambitieux: on sourit et l'on suit volontiers tout le petit monde de Peter Agor dans les arcanes mystérieux de Pépin-le-Bref et de ses parages immédiats: local des poubelles, manoirs à la campagne, abri antiatomique, commissariat de police, immeubles improbables... mais je n'en dis pas plus!
Kylie Ravera, La tentation de la pseudo-réciproque, Lulu.com, s. d.
Pour commander: La tentation de la pseudo-réciproque.
Le site de l'auteur: http://www.kylieravera.fr/