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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 23:18

hebergeur image"Le Kirghizstan, du berger au biznesman": tel est le sous-titre de l'étude "On a mangé nos moutons" de Boris Petric. Le raccourci est certes audacieux, mais il résume avec vigueur ce qu'a été la trajectoire du Kirghizstan, pays montagneux méconnu et ancienne république de l'URSS, de son indépendance (1991) jusqu'à nos jours. L'auteur a la connaissance du terrain; son ouvrage revêt donc l'allure d'un reportage, en particulier grâce aux impressions de réel retranscrites, optimisé par une observation fine qui a tout d'une démarche scientifique - sauf la prise de tête. 

 

Le titre lui-même est étonnant. Il renvoie à quelque chose de très concret, ce qui n'est pas forcément le fait d'un livre scientifique pur et dur. C'est qu'au Kirghizstan, le mouton fait partie des animaux qu'on révère, et qu'on mange en particulier lors de grandes occasions familiales. L'auteur dépeint, dans un premier chapitre emblématique, le mécanisme qui a fait disparaître le mouton de l'horizon productif du Kirghizstan: la disparition du communisme a signé la fin des kolkhozes et, partant, la disparition de l'industrie du mouton, qui était un fleuron régional. Il en est résulté un chômage endémique et, pour le pays, la perte d'un secteur phare: la production de laine.

 

Dès lors, que faire? Au-delà de l'exemple clé du mouton, l'auteur ne s'appesantit pas sur la disparition du secteur productif du Kirghizstan, mais pose simplement que cet Etat ne produit plus rien, ou presque. Sur cette base, "On a mangé nos moutons" va illustrer quelques-uns des procédés utilisés par le Kirghizstan pour faire tourner son économie.

 

De ce point de vue, le lecteur retiendra deux ou trois éléments importants, et qui lui suggèreront que l'économie kirghize dépend beaucoup de l'extérieur: l'émergence d'une économie de bazar, qui fait la fortune des grossistes, et que l'auteur illustre en suivant Askar Salimbekov, propriétaire du bazar historique Dordoï. Un personnage non dépourvu de culture, opulent, qui s'exprime en toute liberté en dépit d'un précédent fâcheux avec la voyageuse française Amandine Roche, qui a obligé l'auteur de "On a mangé nos moutons" à regagner une confiance perdue. Autre mécanisme de rentrée de recettes, l'auteur se penche sur la diaspora kirghize, fière de s'expatrier parce qu'elle conçoit le départ vers des métropoles comme Moscou comme un passage initiatique et une chance de fortune - même si cela doit passer par l'exercice de fonctions ingrates: serveur, éboueur, etc. Nourri par des témoignages d'expatriés parfois victimes de racisme et de discriminations, le chapitre qui est consacré à ce phénomène ("La faillite de la maison commune", 4) expose de façon claire les risques et les chances des expatriés, dessinant un exemple de "mondialisation par le bas".

 

Enfin, les ONG sont devenues, pour le Kirghizstan, une manière de capter des fonds internationaux, à la satisfaction de tous. L'auteur en fait un cas particulier, qu'il observe de près: il y a des Kirghizes qui sont incités à créer leur propre ONG pour subvenir à leurs besoins, à ceux de leur entourage ou d'une certaine clientèle, et les ONG internationales, à l'instar d'Helvetas, qui développe là-bas un certain tourisme durable (voir le prologue, qui a de quoi faire sourire). Et qui dit ONG pense évidemment surveillance des élections; l'auteur a pu assister au travail des observateurs internationaux de l'OSCE, et relate cette expérience avec précision, sans concession, offrant sa propre analyse du processus électoral du pays et d'un monde politique certes pluriel, mais où on bourre encore les urnes et où le clientélisme reste présent, un homme puissant s'assurant les votes de son entourage afin de devenir parlementaire pour obtenir une immunité qui le prémunit des aléas du droit. 

 

Enfin, l'auteur dégage de son observation les lignes d'une nouvelle forme de gouvernance où des ONG, par essence internationales, viennent se mêler d'affaires intérieures (les élections). Il est admis qu'aujourd'hui, des experts issus d'Etats démocratiques d'expérience, le plus souvent occidentaux, vont surveiller des élections dans des pays en transition; mais qui sait si, à terme et dans une même dynamique transnationale, ce ne seront pas des observateurs de ces mêmes pays en transition qui viendront surveiller des élections dans nos vieilles démocraties? C'est sur cette question hardie, entre autres, que l'auteur laisse son lecteur, après avoir brossé le portrait d'un Kirghizstan laboratoire des évolutions de la démocratie, où les moutons paraissent soudain bien loin... 

 

Boris Petric, On a mangé nos moutons, Paris, Belin, 2013.

 

A noter enfin que le Kirghizstan est surnommé "la Suisse de l'Asie centrale" par deux sources concordantes, mais pas pour les mêmes raisons: si Boris Petric trouve la source de ce surnom dans l'omniprésence des ONG, le couple suisse Colette Dahan/Emmanuel Mingasson, qui l'a visité dans le cadre d'un voyage aventureux sur les traces des produits laitiers d'Asie centrale, considère que ce surnom est dû au caractère montagneux de ces deux pays. Je vous recommande leur site, qui est fascinant: Un an sur la route du lait  

 

Lu dans le cadre de l'opération Masse Critique de Babelio. Merci aux éditions Belin pour l'envoi!

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