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15 avril 2010 4 15 /04 /avril /2010 21:01

PhotobucketAttention, spoilers en vue...

 

En exergue de ce recueil, une phrase intéressante que je cite: "Va voir, il me semble que quelqu'un a frappé à la porte" (Carpus Dixotus, dit L'Etrusque, Pompéi, 24 août 79). En un raccourci historique saisissant, elle donne le ton du livre...

 

Savez-vous comment la fondue au fromage fut inventée? Telle est l'une des questions fondamentales, existentielles même, que Jérôme Rosset pose dans son recueil de nouvelles "Nobles causes", qui vient de paraître aux éditions Faim de Siècle/Cousu Mouche. Ce petit livre porte bien son titre: chacune des brèves histoires qu'il contient relate la destinée d'un personnage, humain ou non, qui a une ambition pour son existence - voire plus, ou voire moins, ce qui est parfois étrangement similaire.

 

Tout commence avec "Hubert Salin ou la mesure précise des choses", une ce des histoires de fonctionnaires comme on les aime, avec un côté "Le Désert des Tartares" de Dino Buzzati, en plus absurde encore s'il est possible. Imaginez, en effet, un fonctionnaire français nommé Hubert Salin, tout ce qu'il y a de terne et de méticuleux ("une minutie digne d'un ingénieur germanique", dit l'auteur, qui a le sens de la formule choc), délégué aux îles, en Polynésie peut-être, afin de mesurer l'avancée de la banquise. Il y a une certaine ambivalence de la part du bonhomme, qui n'est pas dépourvu d'états d'âme par rapport à son essentielle tâche: il lui arrive de se demander si ça sert à quelque chose, mais le sens de la mission, organisée comme un rituel immuable, reprend immanquablement le dessus. Avec quelques aménagements cependant: l'un des repères servant aux mesures est déplacé de façon à se trouver au bistrot, avec la bénédiction de l'Etat, qui survient deux ans après la demande. Aux îles, le temps est dilaté - par la chaleur, peut-être, qui dilate les corps, c'est bien connu.

 

Plus tard, le lecteur découvrira la destinée d'une mouche qui voulait vivre en mer, ou l'histoire d'un scientifique qui cherche à réaliser l'hibernation humaine. Dans les deux cas, le côté pantagruélique de l'auteur éclate au grand jour: la mouche se retrouve gavée de couches-culottes usagées et autres fruits avariés qui sont comme des festins pour elle (mais aussi d'affreuses tentations qui la détourneront de son rêve alors que sa vie est brève), et l'homme qui hiberne s'empiffre à foison avant de s'endormir afin de colmater tout son tube digestif. L'accumulation est à chaque fois suggérée par de belles énumérations - sous la forme de listes de commissions très appétissantes chez l'épicier, mentionnant même les prix, dans le cas de l'apprenti hibernateur.

 

La nouvelle à chute trouve également place dans ce recueil, avec "Simone", dont le final en coup d'assommoir n'est pas sans rappeler les meilleures nouvelles d'Emmanuelle Urien, ou "Lettre éducative à l'attention d'un de mes descendants", qui explique de manière quasi légendaire, sur le ton d'un conte mâtiné d'outrance, pourquoi il ne faut pas mettre ses doigts dans le nez - un problème assez général, voire universel, pour toucher n'importe quel lectorat.

 

Et cette histoire de fondue, alors? J'ai dit "pantagruélique" tout à l'heure, nous y sommes à nouveau. J'ai dit "dramatique", j'ajoute "épique". L'auteur parvient en effet ici à conjuguer avec adresse humour "hénaurme" et fibre patriotique en relatant le faux début de la Suisse, au douzième siècle, à l'occasion d'une fondue géante - le genre qui nécessite un caquelon de cinq mètres de haut et suffit à nourrir une localité. L'auteur détaille l'ingénierie requise pour ce méga-repas: des pains gros comme des bateaux, des tonnes de fromage (à noter qu'il a oublié le vacherin), un caquelon à plaques de cuivre rivetées, etc. Le lecteur suisse se retrouve soudain chez lui, que ce soit par le jeu des patronymes (on y trouve même un certain Veuthey - écho à l'une des éminences grises de la maison d'édition, Charly Veuthey?) ou des localités - centrées sur la Suisse romande, même si l'on lorgne de temps en temps vers la Suisse alémanique, en particulier pour le kirsch. La fondue devient ainsi un plat national, indissociable de la Suisse... et, racontée comme elle l'est, elle constitue le premier bide du pays, puisque cette fondue géante s'achève en catastrophe majeure. Dommage: la Suisse a ainsi perdu une occasion de prouver qu'elle pouvait faire les choses en grand... et l'assumer pleinement. Compte tenu de certains côtés étriqués du pays, on peut se dire que cette nouvelle des temps héroïques a un côté prémonitoire.

 

Tant de nobles causes, alors? Antithèse ou retour aux sources, cette noblesse a un côté d'autant plus beau qu'elle est inutile, on l'a compris - inutile ou, dans le meilleur des cas, dérisoire. Ce côté dérisoire, flirtant régulièrement avec le non-sens et l'absurde au risque de s'y perdre, encore accentué par le ton épique au deuxième degré et le côté improbable de l'onomastique des personnages (des noms à coucher dehors) et de la toponymie (des bleds à faire peur à un chef de gare), donne à ce recueil une saveur bien personnelle. Le lecteur se surprendra à sourire à plus d'une reprise...

 

Jérôme Rosset, Nobles causes, Fribourg/Genève, Faim de Siècle/Cousu Mouche, 2010.

 

Le site de l'éditeur: http://www.cousumouche.com.  

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H
The story of the fondue is very adventurous. This is a way to the real human life. That is what makes the noble causes of the writer very specific. This also marks the fundamental issues of the present world

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