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29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 21:08

hebergeur imageScience-fiction et autobiographie, lu dans le cadre des défis Rentrée littéraire 2012 et Littérature suisse.

 

Tutoyer Dieu, devenir une femme, planer dans le cosmos, voyager dans le temps, devenir tout sec: quels défis! C'est pour relever un autre défi de taille que Jacques Guyonnet a écrit son dernier opus, "Une semaine bien remplie": rédiger son autobiographie sans ennuyer. L'histoire de la vie de l'auteur est enchâssée de façon originale dans un roman aventureux qui mêle Stendhal (il est sous-titré "De l'Amour") et la science-fiction. Le personnage de Jack des Ombres s'y retrouve aux prises avec un éditeur sans scrupule qui va exiger de lui qu'il écrive un roman "bankable". Ce qui va obliger le personnage principal, alter ego de l'auteur, à puiser dans sa propre existence.

 

Cette double articulation du propos se traduit formellement par une structure non moins double où les chapitres biographiques alternent avec les chapitres d'aventures fantastiques. Une construction régulière qui rend très claire la lecture de ce dernier opus de l'écrivain genevois, en dépit de la complexité des sujets abordés et des péripéties relatées. Les amateurs d'anecdotes, en particulier, découvriront quelques épisodes méconnus de la vie culturelle genevoise et européenne d'après-guerre, où se côtoient des personnalités honnies ou révérées, telles que Roger Vuataz, Pierre Boulez, Guillaume Chenevière. Cela, sans oublier, bien sûr, la défunte épouse de l'auteur. Ni les setters irlandais de la maisonnée. 

 

Le titre, "Une semaine bien remplie", est tout un programme. Le lecteur comprend vite qu'il se retrouve face à une métaphore des premières pages de la Genèse, relatant la création du monde: le personnage principal va avoir six jours de défis devant lui, et aura le droit de se reposer le septième, enfin. Reste que les épreuves seront plus proches des travaux d'Hercule que de la création du monde, même si la force bêtement virile ne suffira pas pour en venir à bout.

 

L'incipit, quant à lui, est tout un programme: "Je déteste les éditeurs". Première conviction affirmée par l'auteur, qui va en développer plus d'une tout au long du récit, réservant les plus virulentes de ses rognes à l'argent, aux banquiers ou à certains philosophes. Cette première phrase dit qui parle... et indique d'emblée qui sera le méchant, à savoir le patron d'une maison d'édition parisienne dont la raison sociale est à peine déguisée. Celui-ci agit par le biais de son âme damnée, Flavienne Le Tantal la bien nommée: elle suscite le désir sans jamais permettre qu'on l'assouvisse, en particulier à travers un leitmotiv affolant (un sémantomorphème, comme le dit l'auteur, qui n'a pas peur des mots qui font peur) qui va traverser tout le roman: une petite jupe en cuir noire.

 

D'autres leitmotive traversent le récit, créant des jeux d'échos. Il y a par exemple celui de la mer - que l'auteur, né sous le signe des poissons ascendant poissons, affectionne particulièrement. Ainsi la possibilité de diriger un orchestre est-elle pour lui "un accès à la mer", ce qui lui fait défaut en Suisse. L'accès à la mer, l'auteur va aussi le trouver en qualité de plongeur - et bien sûr dans le cadre de la première épreuve qui lui sera assignée, du côté de Gibraltar. La chute est également une image récurrente, que ce soit selon l'idée de "tomber dans la lumière" qui a décidé de la vocation du futur musicien ou lorsque le personnage de Jack des Ombres revient sur Terre après une épreuve sidérale. Un retour sur Terre qui n'est pas sans rappeler le début des "Versets sataniques" de Salman Rushdie... 

 

Empruntant aux classiques de la science-fiction autant qu'à ceux la musique (l'ouverture de "Manfred" pour arrêter les eaux de la mer, l'adagietto de la cinquième symphonie de Mahler, etc.), les aventures vont plonger les habitués de l'auteur dans un univers familier où l'humour ne saurait manquer. Ils se sentiront à l'aise dans un roman qui, s'il compte au nombre des plus copieux de l'auteur, s'avère moins labyrinthique que "Le douzième évangile", donc peut-être plus accessible. A ce titre, et malgré les nombreuses références aux précédents romans de l'écrivain (en particulier la récurrence de personnages féminins tels qu'Oriane Park, revenue en droite ligne de "On a volé le Big Bang"), "Une semaine bien remplie" est une bonne porte d'entrée dans l'univers de l'auteur - et, vu la nature autobiographique de ce roman et les convictions qui y sont amplement exposées, une excellente manière de faire plus ample connaissance avec lui.

 

Jacques Guyonnet, Une semaine bien remplie, Genève, Margelle, 2012.

Le site de l'éditeur, pour commande: http://www.margelle.org.

Photo: antiphonaire médiéval, Messe des Morts. Jacques Guyonnet (qu'on se rassure, ce n'est pas l'édition originale de "Une semaine bien remplie"!).

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