Lu par Canthilde, Culture-Confiture, Dévoreuse de livres, Hydromielle, Mon coin lecture, Moonlight Drive, Tout Azimuth.
Défi On veut de l'héroïne!
C'est un rien épuisé que j'émerge de ma lecture de "Sauvez Hamlet" de Jasper Fforde, qui relate un épisode des aventures de l'inénarrable Thursday Next, agente de la police littéraire basée à Swindon, en Angleterre. Paru dans sa version française en novembre 2007, il laisse un goût de "too much" en dépit de qualités qu'il me revient de mentionner ici.
L'idée de départ est bonne, en effet: la police des livres intervient dans les oeuvres littéraires. On imagine sans peine les possibilités que cela ouvre, et l'auteur ne se prive pas de les exploiter de manière systématique. Dès le chapitre 1, le lecteur a droit à un feu d'artifice de ce jeu, constitué d'anachronismes, de mélange délirant des genres (ou quand la science-fiction rencontre le western, avec un gros zeste de mythologie grecque) et de rapprochement de personnages inattendus - ce qui constituera la constante de ce roman où Hamlet erre telle une âme indécise en peine.
Le jeu des allusions littéraires fonctionne à fond les manettes également. Le lecteur perspicace reconnaîtra sans peine des éléments extraits d'Alice au Pays des Merveilles (le croquet, le chat de Cheshire), de tout Shakespeare, de "Fahrenheit 451" (les livres brûlés), d'Alien même (les clones), voire de Racine - mais cela est sans doute un clin d'oeil de Roxane Azimi, traductrice. Dans le jeu des allusions, l'exergue du chapitre 4 est exemplaire puisqu'elle fait référence à Margaret Thatcher herself ("je lui donnerais pas une épicerie à gérer", or la Dame de Fer était fille d'épiciers), à Silvio Berlusconi (un politicien est présenté comme un "piètre chanteur", or Silvio Berlusconi a exercé le métier de chanteur sur paquebots, avec son directeur de la communication au piano, et pousse toujours la romance à l'occasion) et au nazisme (un chancelier qui aimerait devenir dictateur - et plus tard, le lecteur découvrira les autodafés et la campagne de dénigrement des Danois, fondée sur des arguments tendancieux).
L'auteur entretient volontairement le flou entre le réel et la fiction, le capitaine d'industrie Yorrick Kaine étant par exemple un personnage de fiction devenu quelqu'un dans le monde réel. Il s'en sort bien: Hamlet, on l'a dit, a un peu de mal à y trouver sa place, même s'il passe son temps à regarder des adaptations de la pièce de théâtre qui porte son nom. Les effets d'humour sont omniprésents, parfois subtils, parfois à grand spectacle, dans un récit populaire volontiers visuel, où les dialogues s'enchaînent pour le rythme.
Reste que tout cela peut donner au lecteur une impression d'indigestion, due à l'abondance d'intrigues primaires et secondaires lancées dès le départ, au lien peu évident entre elles, et aussi à des chapitres structurés de manière que chacun respecte une certaine unité de lieu - ce qui donne l'impression d'avoir un chapitre "Thursday Next au western", "Thursday Next à la maison", "Thursday Next à Oswestry" (j'y ai passé quelques jours, ça m'a marqué), etc. Le flou temporel n'aide pas le lecteur à s'y retrouver! Il est du reste à noter que l'auteur est en cela servi par l'histoire de Hamlet et de Shakespeare eux-mêmes: personnage du Haut Moyen Age, Hamlet n'a jamais pu vivre dans le château d'Elseneur, construit à l'époque de Shakespeare. Comme quoi l'Histoire dépasse parfois la fiction...
La traduction réserve aussi une ou deux surprises, même si elle préserve globalement le rythme et le caractère pétillant du récit. Ainsi, elle évoque la présence de pingouins en Antarctique, alors qu'il s'agit de manchots ("penguins" en anglais, la mascotte de Linux en sait quelque chose), et le Tourist Trophy de l'Île de Man est une compétition motocycliste dont le nom ne devrait pas se traduire. Enfin, le titre du roman lui-même, "Sauvez Hamlet!", n'évoque qu'un élément de l'intrigue, pas forcément le plus crucial; le titre original, "Something Rotten", plus général, couvre mieux la réalité de ce vaste space opéra un rien touffu: il y a bel et bien quelque chose de pourri au royaume de Swindon.
Impression mitigée, donc, après une lecture qui m'a paru interminable en dépit de bons gags! Il n'est pas certain que je reviendrai à Jasper Fforde, même s'il met en scène un dodo des plus sympathiques dénommé... Pickwick!
Jasper Fforde, Sauvez Hamlet!, Paris, Fleuve Noir, 2007, traduction de Roxane Azimi.