Thriller écologique, lu par Feetish, Jacques, Ma petite bibliothèque, Thrillermaniac.
Lu dans le cadre du défi "Pour-cent littéraire".
Bien ficelé et accrocheur comme c'est rarement le cas: telles sont les impressions qui me restent de ma lecture de "Le troisième pôle", thriller écologique de Guillaume Lebeau. Paru en novembre dernier aux éditions Marabout, cet ouvrage repose sur toute une série de questions ayant trait au dérèglement/réchauffement climatique dont la Terre est, nous dit-on, victime. L'auteur est un spécialiste de la littérature policière scandinave... et au fil des 505 pages de ce roman, force est de constater qu'il donne libre cours à son dada, pour le plaisir d'un lecteur scotché à son histoire.
Le scotchage commence dès les premières pages, qui se déroulent dans les terres inhospitalières de l'Islande et du Cap nord, en Norvège. L'auteur crée une ambiance parfaitement réaliste, en usant de deux procédés. Le premier, évident, consiste à utiliser un vocabulaire approprié, suffisamment précis pour que le lecteur s'y croie: c'est avec exactitude que l'auteur reproduit les conditions climatiques de l'extrême nord, quitte a expliquer certaines notions dans des notes de bas de page... ou à suggérer que les glaciers sont vivants. Le deuxième consiste à mettre en scène, sous forme de prologue, quelques personnages mystérieux, de manière à ce que le lecteur sorte de cet épisode avec plein de questions (plus que de réponses, en tout cas) et suffisamment de motivation pour lire tout un pavé pour en savoir plus. Et ça marche: au début, les pièces du puzzle semblent éparses, dans le temps (1912, 1996, 2011) et dans l'espace (Islande, Spitzberg, Cap Nord, Paris...) - sans parler des personnages: qu'ont en commun un groupuscule de richissimes illuminés païens, une bande d'écologistes extrémistes, des scientifiques aux apparences sérieuses et des mercenaires sans foi ni loi? Etrange aussi, de la part de l'auteur, cette manière qu'il a de tuer tout le monde en début de récit... mais toute vie laisse des traces, suffisantes pour trousser un roman.
C'est que l'auteur a bel et bien mis en scène, dans son roman, une belle brochette d'illuminés. Son utilisation du groupuscule écologiste est extrêmement intéressante, dans la mesure où elle illustre la capacité du romancier à faire d'un élément a priori anecdotique un morceau clé de son récit. Le lecteur croit en effet, en voyant une bande de zigotos s'immoler sur une voie de chemin de fer pour faire passer leur message, qu'il s'agit là d'une simple péripétie visant à montrer la puissance du méchant. Or, le groupuscule va rebondir plus loin... permettant à l'auteur de faire de l'un de ses personnages, Ethan en l'occurrence, un agent double, voire triple. Face à cette équipe, il y a les méchants, présentés comme pleins de moyens et très bien organisés - leur hiérarchie se dévoile en fait de chapitre en chapitre, de sorte que le lecteur découvre que celui qu'il pensait être le plus puissant n'est en fait qu'un pion sur un échiquier qui le dépasse. On a donc affaire à des baroudeurs considérant que la loi du plus fort est la seule valable, à des capitaines d'industrie peu désireux de se salir les mains, à d'anciens combattants au passé peu recommandable. Tout cela crée un climat de méfiance et de psychose générale: mis à part Smila Sibir, héroïne du roman (qui doit quand même survivre jusqu'à la fin, sinon le lecteur se sentirait floué), qui est digne de confiance? Sachant que la réponse est "personne", le lecteur attend les retournements de situation et de veste. Et de ce point de vue, il va être servi. Même s'il aura envie, une fois ou l'autre, de crier à Smila: "eh, l'affreux est derrière toi!".
Seul personnage de premier plan apparemment équilibré et sans cadavre dans ses placards, Smila Sibir est donc la figure à laquelle l'auteur invite le lecteur à s'identifier, dans la mesure où c'est elle qu'il suit tout au long du roman. Elle est scientifique; on peut donc en inférer que l'auteur considère que la science saura apporter toute la lumière sur le dossier hautement sensible du changement climatique. A travers Smila, et quitte à prendre le contrepied de certaines conclusions bien connues du GIEC, ce roman suggère qu'il s'agit plutôt d'un dérèglement climatique - et le fait que Smila assène à plus d'une reprise cette nuance tend à montrer qu'elle est d'importance.
Mais revenons aux méchants... car ce sont eux qui, selon le romancier, détiennent la clé de ce dérèglement. L'auteur postule en effet que l'évolution climatique est le fait d'humains sans scrupules, suffisamment organisés pour assurer la promotion de tout ce qui peut favoriser le réchauffement du climat: gaz à effet de serre, méthane, consommation du pétrole, etc. C'est là leur force - et la faiblesse majeure du roman: malgré quelques tentatives d'explication, il est difficile, pour le lecteur, de comprendre pourquoi un groupuscule ésotérique a intérêt à ce que le climat du monde entier se réchauffe - et de se convaincre de la justesse de leur démarche, ne serait-ce que de leur point de vue. Si ce n'est, dans une perspective romanesque, pour agiter quelques savants fous...
... mais il n'y a pas que la science dans ce récit. Et si Smila Sibir paraît incarner la voie juste entre toute une série d'agités du bocal, c'est peut-être aussi parce qu'elle est la fille d'un scientifique et d'une chamane - donc le pur rejeton de la science et de l'ésotérisme. Ce dernier vient introduire un élément de fantastique dans le récit: est-ce bien aux talents de chamane de la mère de Smila que celle-ci va recouvrer la mémoire? Au-delà de cette péripétie, l'auteur a compris que pour créer un personnage central fort, il ne suffit pas d'en faire une scientifique hors pair: il est indispensable de lui donner aussi l'humilité d'admettre qu'il y a quelque chose qui dépasse la science et la raison.
Au terme de ce roman qui se dévore, structuré en chapitres courts et aérés rédigés en un style standard parfois un rien relâché, le lecteur a eu l'impression de découvrir une histoire qui se tient, et que toutes les portes ouvertes ont été fermées (ou presque: la destinée de Haraldur et Mireya est bien brève, et leur mort ne débouche sur rien), au terme d'un voyage qui explore les terres les plus inhospitalières de l'hémisphère nord et ose une pointe en Antarctique. L'auteur sait cependant conclure en laissant entendre qu'il y aura une suite. Alors, affaire à suivre?
Guillaume Lebeau, Le troisième pôle, Paris, Marabout, 2011.