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30 avril 2010 5 30 /04 /avril /2010 22:22

PhotobucketJeantou? On se demandera peut-être comment je suis tombé sur ce roman qui, s'il a connu une fortune internationale depuis sa publication en 1936, est éminemment creusois. La réponse est évidente pour ceux qui me suivent: je me rends régulièrement en Creuse pour y participer à des championnats d'orthographe, et j'aime ça... et c'est lors de ma première dictée de Saint-Vaury, en 2006, que j'ai fait la connaissance de Jeantou, le maçon creusois, pertinemment placé dans un texte de Jacqueline Bayol intitulé "Veillées creusoises". Intuitivement, j'ai orthographié correctement le nom du personnage principal de ce roman; dès lors, il ne me restait plus qu'à lire ce texte...

 

... et c'est ce que j'ai fait cette année, à bord des TGV, Corail Téoz et TER qui m'ont conduit, dans le cadre d'un véritable tour de France, de Fribourg à Guéret (imaginez: Fribourg-Genève-Paris-Limoges-Guéret...); le roman de Georges Nigremont m'a ainsi tenu compagnie sur des centaines de kilomètres. Les curieux noteront que Georges Nigremont, comme George Sand, est une femme... que l'état civil connaît sous le nom de Léa Védrine (1885-1971). En 2007, les éditions De Borée ont donné de ce roman fameux une édition de poche parfaitement maniable, préfacée par René Eucher.

 

La trame de ce roman est assez classique, épousant celle du roman d'apprentissage ou d'initiation: le lecteur découvre Jeantou alors qu'il apprend à lire et le quitte au moment où, couvert de biens que le fisc ne convoite pas encore, il se marie - et devient, ce faisant, un homme accompli. Porté par une plume fluide et toute de simplicité, abusant certes parfois de l'adverbe "bien", l'ouvrage dévoile plusieurs univers, que l'auteur connaît par l'entremise de son aïeul: la Creuse, pays où il n'y a pas de salut si l'on n'a pas un peu de terrain au milieu du XIXe siècle; Paris, où l'on peut se faire de l'argent et de l'expérience au prix d'efforts surhumains; le monde des tuiliers de Nevers. Si les aspects provinciaux revêtent un intérêt quasi naturaliste, la peinture de Paris fait figure de revers des romans d'Honoré de Balzac: si ceux-ci montrent ce qui se passent du côté de la Chaussée d'Antin, "Jeantou le maçon creusois" dépeint les moeurs de ceux qui ont construit, à coups de truelles et en gâchant le plâtre, le décor de la Comédie Humaine.

 

Et en la matière, Georges Nigremont, sans dramatiser, montre deux versants: l'auteur excelle à démontrer les difficultés de la vie parisienne au quotidien quand on exerce un métier humble, mais elle n'hésite pas, autant que possible, à tempérer la dureté du propos par la peinture des menus bonheurs de l'existence des classes laborieuses et par l'évolution de celles-ci, si modeste soit-elle: l'acquisition d'un véritable plancher est un succès; manger à une table où les assiettes sont creusées à même le bois du plateau, le signe d'une misère extrême. On ne bascule donc pas vers le naturalisme forcené d'un Emile Zola! Revers de la médaille: Georges Nigremont ne va jamais si loin dans la description méticuleuse, vertigineuse même, du contexte, privilégiant une efficacité qui saura séduire un lectorat jeune.

 

Reste que l'auteur sait parfaitement observer ce qui se passe autour d'elle; elle sait aussi tirer profit de ce que lui a confié son aïeul - des propos dont elle se sert pour son récit - et des récits du politicien et maçon Martin Nadaud ("Souvenirs de Léonard, ancien garçon maçon", Bourganeuf, 1895). "Jeantou le maçon creusois" contient plusieurs belles pages sur la vie traditionnelle en Creuse et dans la Marche, en particulier des scènes de noces où Jeantou est partie prenante, tantôt comme invité, tantôt comme marié. Les costumes sont ainsi dépeints; mais il y a aussi plus d'une description de ce qui se passe durant les "veillées creusoises" où l'on tresse l'osier tout en parlant de ce qui se passe dans la région. Une région peinte avec réalisme: le lecteur découvre les auberges où mieux vaut passer le premier (sinon, gare à la crasse!), le suspens lié à la circonscription (surtout ne pas tirer un mauvais numéro!), les bagarres entre Creusois, Limousins et autres artisans à Paris, voire la tentation du crime crapuleux. Et au-delà de ce qui paraîtra finalement anecdotique, une philosophie: pour avancer dans la vie, l'instruction est primordiale... surtout si elle est suffisamment originale pour vous distinguer des autres. Au dix-neuvième siècle, savoir lire et écrire vous distinguait d'emblée; aujourd'hui, que faut-il faire pour obtenir le même résultat? A méditer...

 

Georges Nigremont, Jeantou le maçon creusois, Romagnat, De Borée, 2007.

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commentaires

A
Réédition en 2013 de &quot;La bru&quot; roman pour adulte paru en feuilleton en 1929, puis édité en livre bien plus tard. Georges Nigremont pose la question de l'intégration d'une Parisienne dans le village creusois où est né son mari. Présentation là<br /> <br /> http://www.critiqueslibres.com/i.php/forum/forum/4/38908
F
<br /> Très très tentant.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> C'est aussi un classique, apparemment! Bonne lecture, d'autant plus qu'il est écrit de manière agréable.<br /> <br /> <br /> <br />

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