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Tout le monde se souvient de David Foenkinos, auteur d'un certain nombre de romans, publiés le plus souvent par Gallimard. Fidèle de ses oeuvres, il ne m'est jamais arrivé, cependant, d'en commenter une seule sur le présent blog. Avec son roman "La Délicatesse", que j'ai achevé dernièrement, cette lacune sera comblée ici même...
L'histoire est elle-même presque ordinaire: Nathalie rencontre François, l'épouse, le perd (il meurt dans un accident) et se reconstruit une humanité et une vie sentimentale avec Markus. L'incipit annonce la couleur, à plus d'un titre: "Nathalie était plutôt discrète (une sorte de féminité suisse)", dit-il. On associera volontiers la discrétion à la Suisse, de même que l'idée d'un lieu où les existences se déroulent dans une discrète banalité. Plus loin, le lecteur découvre des personnages à l'existence très ordinaire, banale pour tout dire - du personnel de bureau plutôt gris, engagé par une entreprise suédoise où l'on mange des Krisprolls et où le mobilier est signé Ikea. Ainsi, dans une apparence de légèreté, l'auteur manie-t-il, à la manière de collages, quelques stéréotypes pour illustrer des modes de vie.
Il y a d'autres collages dans ce roman, ceux d'éléments informatifs présentés sous forme de chapitres subitement intercalés au milieu du récit, comme des insertions documentaires donnant des informations de fond. Inutile? Certes, l'histoire ne s'en trouve pas forcément plus nourrie. Mais à leur manière, ces épisodes permettent de recréer un univers fait d'informations, de bruits, de mots entendus, de définitions qui éclaircissent le propos, l'étendent et lui donnent un supplément d'actualité: la "vraie" vie n'est-elle pas elle aussi émaillée de bruits parasites auxquels chacun est plus ou moins attentif?
De l'ordinaire naît cependant l'extraordinaire, le surprenant: des coïncidences incroyables comme le coup du jus d'abricot, ou un cadeau inattendu comme un distributeur de Pez - objets infra-ordinaires, plaisirs minuscules qui, dans le contexte d'histoires d'amour qui vivent et meurent, prennent une dimension cruciale.
Cela participe de l'exercice auquel s'adonne ici David Foenkinos, un exercice qu'il affectionne: l'analyse précise des relations humaines et, en général, de l'humanité. Dans ce roman, il atteint, à nouveau sous le couvert d'une légèreté qui n'est qu'apparente, une gravité et une profondeur qui ne sont pas sans rappeler "Les Coeurs autonomes", même si ce dernier titre est réellement dépourvu d'humour. "La Délicatesse", c'est la légèreté apparente d'une image ou d'une comparaison qui, dès qu'on y réfléchit quelques secondes, apparaît comme d'une étonnante précision et sonne juste. C'est aussi le récit d'une femme qui remonte la pente... avec des doutes et regrets qui ne sont pas sans rappeler les approches hésitantes, attendrissantes, de Markus.
Et que dire de l'énigmatique dernière phrase, "Nathalie ouvrit les yeux.", qui constitue un chapitre à elle toute seule? Au sens premier, c'est un épisode d'une partie de cache-cache. Mais n'est-ce pas, aussi, la perspective du désenchantement amoureux, l'idée de la prise de conscience que l'amour a ses servitudes? Une telle lecture renverrait à "Belle du Seigneur", roman des impasses amoureuses. A moins que cette ouverture ne soit synonyme d'un regard neuf sur l'existence: sans doute est-ce au terme d'une partie de cache-cache que Nathalie peut se dire, à cent pour cent, qu'elle est prête à s'engager à nouveau après une période de deuil (alors qu'elle a, tout au long du roman, une réputation de femme peu sorteuse), qu'elle a tourné la page.
Riche sous des apparences légères, ce roman séduira celles et ceux qu'inspirent la peinture d'une certaine société humaine, apparemment normale, dans laquelle l'auteur s'amuse à jeter, dans un geste délicat, quelques grains de sable. Juste de quoi créer un roman - rien de plus, pas de drame excessif dans "La Délicatesse", mais rien de moins non plus. Et qui plus est, de quoi créer un récit d'une profondeur que le lecteur attentif saura percevoir.
David Foenkinos, La Délicatesse, Paris, Gallimard. 2009.