Lu par Decipherium, Mélusine.
Lu dans le cadre du défi Thrillers.
Ce n'est pas tous les jours que l'on trouve entre ses mains un roman qui nous fait rire aux éclats à plus d'une reprise. Tel est pourtant l'effet que m'a fait "Les Parasites artificiels", un roman de Gordon Zola, dont la couverture rappelle l'affiche d'un film intitulé "Le Parrain". J'ai eu le bonheur de rencontrer son auteur à Saint-Etienne, à deux reprises: l'an dernier puis cette année. C'est justement en octobre dernier que j'ai craqué pour ce roman, important puisqu'il exploite les démêlés judiciaires des éditions du Léopard Masqué et de Moulinsart SA, société qui gère l'héritage d'Hergé.
Un démarrage classique
Tout commence de manière classique, avec l'épisode "chaud" de la mise à mort d'un couple de libraires de province par un assassin mystérieux (de même, "Les talons hauts rapprochent les filles du ciel" d'Olivier Gay raconte la mise à mort d'une jolie fille par un assassin mystérieux...). Plus loin, l'auteur dessine la silhouette d'un tueur particulièrement habile et, en parallèle, laisse patauger ses personnages policiers principaux: Guillaume Suitaume et Purdey Prune.
Ce roman entremêle plusieurs formes d'écriture, et c'est l'une de ses forces puisqu'un rythme varié en résulte: le lecteur va se trouver baladé entre la narration stricte de l'intrigue, des coupures de presse citées in extenso et des extraits du journal de Gordon Zola. Ces derniers sont un effet habile de l'auteur, qui mixe ainsi sans vergogne la réalité et le monde de son roman. Il y avait un peu de ça dans la trilogie "Le Vent du soir" (tomes 1, 2, 3 à découvrir sur ce blog) de Jean d'Ormesson, mais ce n'était pas aussi clairement assumé... puisque Gordon Zola, auteur, se donne un véritable rôle dans "Les Parasites artificiels".
On est là pour rigoler
Cela dit, le lecteur est quand même là pour se marrer, et l'auteur se révèle à la hauteur du défi. C'est surtout dans le jeu de mots qu'il excelle: ceux-ci déboulent en cascade, tantôt potaches, tirés par les cheveux ou franchement cotons ("Et pour le Biterrois, la bite est reine", ose ainsi l'écrivain, p. 74). Le calembour, parfois très subtil, est la règle pour les noms des personnages, et le lecteur le découvre dès le départ avec la mise à mort de Georges Profonde - comme un arrière-goût de Watergate... Certains personnages sont nommés d'après des figures connues: on trouve ainsi un certain Nécro Douèle, dont le nom rappelle étrangement celui de Nick Rodwell, gérant de l'héritage d'Hergé (dans le livre, le nom de sa société, Lotus Marin, a d'ailleurs de quoi séduire les amateurs de Scrabble!), ou Gaspard Pakap, dont le nom évoque, pour tout tintinophile averti, celui de Rascar Capac. Cela, sans oublier un certain Pierre Soupline (également prénommé Paul, le roman a ses incohérences...), blogueur connu et biographe d'Hergé.
Quid du ton général du roman? J'ai eu, en le lisant, l'impression que l'auteur a voulu marier Louis-Ferdinand Céline et San-Antonio. Cela donne une prose riche en invectives et en points d'exclamation, ce qui donne une impression de lenteur par moments. Côté San-Antonio, l'auteur récupère une astuce intéressante: les interventions de l'écrivain pour souligner la valeur supposée de certains gags. Ces interventions sont écrites en italique et ajoutent fort à propos une voix supplémentaire au roman, qui devient une polyphonie un peu folle.
Sur un fond de vérité
Derrière ces esbroufes humoristiques, il y a quelques vérités. Certaines sont un peu anecdotiques: le paysage des librairies de la rue Daguerre est par exemple bien dépeint: la librairie des éditions du Léopard Masqué est bien là (je confirme, j'ai passé une nuit à côté, en 2009, à l'hôtel Daguerre Montparnasse) et se trouve en face d'une autre librairie spécialisée dans la bande dessinée, que l'auteur travestit en librairie qui ne vend que de "bons" livres de "grande" littérature. Je ne serais pas étonné qu'il y ait là un clin d'oeil à usage interne entre voisins. Ailleurs, on pourra gloser sur les approximations liées à la représentation de la Suisse: pas sûr, par exemple, que la Fedpol intervienne en premier lieu en cas d'assassinat à Genève, la police étant avant tout une affaire cantonale en Suisse.
De manière plus importante, l'auteur rapporte au fil des pages, sous la forme d'un journal aux allusions plus ou moins transparentes, ses démêlés avec la maison Moulinsart SA au sujet d'un autre fleuron de sa maison d'édition: les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou (dont j'avais évoqué ici même un épisode, "La Lotus bleue"). Là-dessous, c'est le droit à la parodie qui est interrogé... donnant un sens à la devise de l'éditeur: "Quand ce qui prête à rire donne à penser".
L'amateur chevronné de polars pourra être déçu par la fin, qui laisse quelques questions en suspens et répond à d'autres de manière un peu trop facile. Mais il ne pourra nier qu'il aura bien rigolé. Dès le départ, cependant, le deal est clair pour le lecteur: un peu comme dans un San-Antonio (mais le côté graveleux en moins), l'intrigue policière sert de prétexte à déconner, à rigoler, et à jouer avec les mots sur le mode burlesque. Le résultat est savoureux...
Gordon Zola, Les Parasites artificiels, Paris, Le Léopard masqué, 2011.