Roman noir, lu par ABCPolar, Action-Suspense, Alain, Le Vent Sombre.
Que voilà une interrogation électorale qui date un peu. Mais à l'heure des élections présidentielles françaises, pourquoi ne pas se replonger dans les coulisses d'un scrutin de même nature, intervenu en 1969? "69, année politique" est le titre d'un roman de Francis Zamponi paru en 2009, soit quarante ans après l'essentiel des faits racontés. Et si le titre de l'ouvrage rappelle fortement Serge Gainsbourg, c'est plutôt Alain Delon qu'on va voir apparaître... et ce, dans un récit qui n'a pas grand-chose d'érotique, on s'en doute.
C'est en effet l'affaire Markovic que ce roman relate - une affaire qui porte le nom d'un collaborateur proche d'Alain Delon, retrouvé mort dans des sacs, assassiné mystérieusement. En passant par le milieu des parties fines, l'enquête mène jusqu'à Georges Pompidou, alors candidat pour ainsi dire déclaré à la succession d'un Charles de Gaulle vieillissant et présenté comme un tantinet gâteux. Une telle affaire fait le beurre de ses opposants, en particulier du côté des services de renseignements, que ce roman va montrer en train de s'affairer de manière essentiellement souterraine.
Difficile, vu le côté secret de telles opérations, de réaliser un ouvrage documentaire qui fait la lumière sur tout, sans rien inventer. En prenant le parti du roman, l'auteur reconstitue un récit vraisemblable à défaut d'être totalement vrai, en bouchant les trous avec son imagination. En particulier, c'est à travers le regard d'un personnage imaginaire, Joseph Cladère, que le lecteur est amené à suivre le récit - un récit marqué au sceau de l'aventure, ne serait-ce que du fait des références incessantes à Alexandre Dumas et à ses trois mousquetaires. Autour de lui, évolue tout un monde à plusieurs visages, voire à plusieurs noms si l'on se souvient de certaine indicatrice de sexe féminin.
L'affaire Markovic est narrée par Joseph Cladère, dans le cadre de cahiers écrits de sa main. Forme de pure convention, en l'occurrence: si l'on veut bien croire que Cladère, officier de carrière, parle de lui à la troisième personne comme c'est souvent le cas dans l'administration, il sera plus difficile d'admettre que ces cahiers, qui devraient prendre la forme d'un journal ou de notes succinctes, revêtent en l'espèce le style d'un véritable roman, où Joseph Cladère reconstitue ce qui lui manque et cite in extenso des dialogues copieux, qui occupent une part prépondérante dans le récit. Ces carnets sont donc certes captivants à lire, et leur teneur rend bien l'ambiance des actions en souterrain; mais une simple réflexion formelle les rend imparfaitement crédibles.
Ce qui est séduisant, en revanche, c'est l'image résolument rétro de la France et de la police, un côté pleinement assumé: "C'est une France qui vous semblera vieillotte, une France en noir et blanc que vous allez découvrir à travers mon cahier numéro 1.", annonce Cladère (p. 17). On croirait voir apparaître le portrait de Jean Gabin et d'autres "gueules" de l'époque! L'auteur sait évoquer les bureaux enfumés, le travail où l'on n'oublie jamais le coup de rouge ou l'amateurisme qui règne face aux nouvelles technologies de l'époque (magnétophones fragiles, véhicules mal équipés pour la traque, par exemple).
La structure des chapitres, enfin, contribue aussi à la "mise en roman" d'une affaire bien réelle. A un niveau supérieur, en effet, elle montre Joseph Cladère face à la jeune juge d'instruction Aline Prossac - cela, dans une procédure engagée en 2008 à l'encontre dudit Cladère. Comme celle-ci n'a rien à voir avec l'affaire Markovic, le lecteur n'en saura pas grand-chose... Il regrettera cependant la structure rigoureusement parallèle, rituelle et figée, des chapitres: invariablement, ceux-ci commencent par le monotone accusé de réception des cahiers par Aline Prossac, qui les reçoit un par un de Genève.
En dépit de cette faiblesse, le roman fonctionne et monte progressivement en puissance, ce qui compense le fait que le scandale que promettait l'affaire Markovic (Madame Pompidou dans des partouzes? Shocking!) s'est achevée un peu en eau de boudin, faute d'éléments concluants pour faire tomber Georges Pompidou - sans parler de faux particulièrement croustillants. Nombreux, les dialogues osent la gouaille, même si l'auteur aurait pu aller encore plus loin dans cette couleur d'oralité. Et au final, le lecteur aura eu l'impression de découvrir un bon petit roman noir (et blanc) aux fameux parfums politiques d'antan. Et, accessoirement, d'avoir appris un petit quelque chose sur les coulisses de l'histoire.
Francis Zamponi, 69, année politique, Paris, Seuil, 2009.