Anticipation, lu par Livrogne.
Le blog d'YXSOS et le site de l'éditeur.
La moitié masculine de l'humanité est en train de disparaître, terrassée par un mystérieux virus... telle est l'idée de départ d'"YXSOS ou Le Songe d'Eve", premier roman de l'écrivain et gynécologue suisse Pierre de Grandi. Certes, il s'agit d'une fable, avec ses forces et ses faiblesses; mais les implications de son propos ne devraient pas manquer de susciter le débat entre lecteurs.
Il faut être deux...
Sur la base d'un point de départ qui n'est pas sans rappeler celui des "Hommes protégés" de Robert Merle (le titre du roman de Pierre de Grandi peut du reste être interprété comme un appel à l'aide de la part des hommes: YX-SOS...), l'auteur se propose de visiter à sa manière les rapports entre les hommes et les femmes, en interrogeant en particulier la place de l'homme dans l'humanité, en posant en outre qu'une avancée scientifique le rend parfaitement inutile dans le domaine de la reproduction - sans parler de tout le reste, que les femmes font tout aussi bien que les hommes. Si ce n'est que pour s'aimer, il faut bien être deux...
... deux? Tour à tour, deux couples sont les moteurs du récit. Le premier est celui constitué par Kate et Jessica, deux femmes. Kate est une caricature de féministe misandre façon Valerie Solanas, que le lecteur (homme ou femme) pourra assez rapidement comprendre au deuxième degré ou prendre en grippe - et en tirer sans tarder les conséquences qui s'imposent: la démarche de Kate, scientifique de renom, est vouée à l'échec. Jessica joue ici le rôle de modérateur; mais elle a bien du mal à calmer sa bouillante compagne, qui fonctionne finalement comme un homme en voulant user de force. Eliminer physiquement une moitié de l'humanité par haine, mécaniquement, est-ce bien raisonnable?
Comme un malaise?
Le second couple est constitué de David et Marie, et c'est à celui-ci que l'auteur consacre ses pages les plus lyriques, à l'instar du duo quasi poétique du chapitre "Le peignoir blanc", où l'auteur fait "jouer les violons" sans fausse retenue. On ne peut cependant manquer de s'interroger sur la pertinence de la démarche de Marie, généticienne, en vue de faire évoluer la moitié masculine de l'humanité: l'idée est de créer ce fameux "YXSOS", à savoir un "homme nouveau" - ce qui peut rappeler, non sans malaise, des tentatives historiques de créations d'hommes nouveaux, et donner à croire que "l'homme ancien" (celui qu'on peut rencontrer un peu partout à l'heure actuelle) est dépassé, ringard.
Il paraît effectivement que le chromosome Y de l'homme, pas très utile, est en voie de disparition... Faut-il pour autant l'éjecter illico? L'homme ne serait-il donc vraiment, comme l'écrivait Valerie Solanas (encore elle!), qu'une femme manquée? L'approche génétique de Marie m'a semblé plus insidieuse que celle de Kate, même si elle paraît plus louable en visant le long terme, un changement "aidé" de mentalité et un effacement des peurs masculines.
Un roman pour susciter le débat
Alors, pourquoi lire ce petit livre? On l'a compris: tantôt caricatural, tantôt finement pensé, tantôt provocateur même, un tel livre, sous ses allures de fable futuriste et catastrophiste, a clairement pour vocation de susciter le débat sur la place de chacun des sexes dans la société - et en particulier sur celle des hommes. Il est porté par un style fluide qui ne s'interdit jamais une once de lyrisme, et rythmé par des chapitres courts qu'on dévore. Et si certaines digressions portant sur la génétique et la médecine peuvent paraître un poil trop didactiques, on y apprend toujours quelque chose. Plus qu'une fin en soi, ce roman me semble donc être le point de départ d'une réflexion à mener. Cela, qu'on soit un homme... ou une femme: en fonction du sexe de la personne qui lit, la perception d'"YXSOS" sera sans doute très, très différente.
Pierre de Grandi, YXSOS ou Le Songe d'Eve, Lausanne, Plaisir de Lire, 2011.