Roman policier, aussi lu par AnAmor, BiBlio, Biblioblog, Bibliophare, Bill, Delphine, Francesca, Lulu, Stemilou, Valunivers.
Lu dans le cadre du défi Thriller de Liliba.
Des Immortels qui meurent les uns après les autres. Paradoxal, non? La traduction de François Rosso est peut-être complaisante, mais force est de constater que dans "Meurtres à l'Académie" de Jô Soares, les membres de l'Académie brésilienne des lettres défunctent à un rythme inhabituel qui met la puce à l'oreille de Machado Machado, un policier qui fume la cigarette, porte le canotier et parvient malgré tout à se profiler comme le tombeur de ces dames. N'est-ce pas, Galatea, toi dont le prénom doit tout à Cervantès?
Avec cela, j'ai dit l'essentiel - et finalement pas grand-chose. C'est pourquoi il est important de détailler... Avant tout, le lecteur francophone relèvera avec délices que ce roman policier historique (l'histoire se passe au printemps 1924) semble avoir été taillé pour lui. L'Académie brésilienne des lettres a en effet été créée sur le modèle de la vénérable Académie française, ce que l'auteur de "Meurtres à l'Académie" signale expressément: structure à quarante membres assis sur autant de fauteuils, mission littéraire, bicornes et épées. Cela, sans oublier les manoeuvres en coulisse, dont on parle peu à Paris mais que l'auteur de "Meurtres à l'Académie" exploite pour créer ses personnages, qui, en tout cas en ce qui concerne les victimes, sont présentés avec ironie comme plus talentueux dans l'art de l'intrigue que celui d'écrivain.
Le lecteur ne se retrouve cependant pas dans la dynamique du "Fauteuil hanté" de Gaston Leroux, même si le premier décès, celui du candidat Belizário Bezerra, y fait implicitement référence (décès au moment de la réception): après lui, d'autres Immortels s'éteignent, dans des circonstances diverses qui ne sont pas sans évoquer un roman à la mode. C'est ainsi que l'auteur trouve sa propre voie, sur laquelle il lance le personnage de l'enquêteur Machado Machado, policier aux connaissances littéraires étonnantes.
Crédibles, ces connaissances? L'auteur s'arrange pour qu'elles le soient, même si à la réflexion, le cas est peu probable (mais n'est-ce pas le propre du roman que de relater des destinées peu probables?). Nombreuses sont dès lors les allusions littéraires glissées par l'auteur dans son récit, à commencer par le nom de son enquêteur, qui doit tout à Machado de Assis, écrivain brésilien auteur du fameux roman "Don Casmurro et les yeux de ressac". Entre autres, le lecteur sera amené à suivre une énigme qui trouvera sa clé dans "Max et Moritz" (alias Juca e Chico), féroce récit jeunesse en vers de Wilhelm Busch - de quoi rappeler au monde le côté universel et intemporel de la littérature!
Le lecteur trouvera peut-être longuets les développements érudits, certes nécessaires, relatifs aux poisons; cela est cependant rattrapé par un humour fin et frais, omniprésent. Il apparaît souvent dans les titres de la fatrasie de chapitres et sous-chapitres du roman, parfois intitulés en latin plus ou moins macaronique, mais aussi dans certaines répliques et réflexions des personnages. Autre aspect finement drôle, les illustrations qui émaillent ce roman ne manqueront pas d'intriguer: un symbole ésotérique, la signature d'un message anonyme surmontée d'un énigmatique oiseau, une Bugatti Royale.
Concernant la Bugatti Royale, l'auteur a un peu outrepassé l'histoire puisque contrairement à ce qu'il suggère, aucun des six exemplaires de la Bugatti Royale ne paraît avoir échoué au Brésil, et ce, d'autant moins que ce modèle n'a pas été construit avant 1926. Autre liberté prise avec l'histoire, le roman évoque l'érection du Christ Rédempteur du Corcovado, alors que sa construction ne commence que deux ans plus tard - comme si dans un premier temps, l'auteur avant conçu toute la chronologie de "Meurtres à l'Académie" avec deux ans de décalage. En revanche, les personnages de "Meurtres à l'Académie" ont bien pu avoir accès à la traduction de "Max et Moritz" par le poète brésilien Olavo Bilac, celui-ci étant décédé en 1918.
Certes, le lectorat familier du thriller pourra regretter que l'auteur ait oublié en route le meurtre du garde du corps dans un cimetière pour ne retenir que les décès des Immortels, plus sulfureux et plus médiatiques. Cela dit, il y a là beaucoup d'esprit et d'intelligence mêlés à une conception élastique de l'Histoire en fonction des objectifs visés par le récit. Il n'en faut pas moins pour réussir un thriller littéraire maîtrisé, captivant et souriant, surréaliste à l'occasion, qui fait voyager son lecteur dans un Brésil empreint de fraîcheur et, s'il le faut, de luxe. Cela, tout en flattant généreusement le lecteur qui aime qu'on lui parle de sa passion du livre!
Jô Soares, Meurtres à l'Académie, Paris, Editions des 2 Terres, 2008, traduction de François Rosso.