C'est
avec le roman "Et jusqu'à la fin des temps..." de Vincent Baudry que j'ai terminé l'année. Un ouvrage savoureux et massif publié aux éditions Zeugma, qui
viennent par ailleurs d'éditer le recueil collectif "Nous avons une bonne nouvelle pour vous", dont il était question ici.
Et cette fin des temps, qu'en est-il? Vincent Baudry mêle, dans son propos, science-fiction et religion catholique pour un résultat plutôt explosif et iconoclaste, en tout
cas fort personnel. Pensez donc: en l'an de grâce 2061, le journaliste Octave Cadeillan est mandaté pour la peu banale mission d'aller interviewer Jésus-Christ en personne, après un voyage à bord
d'une machine à remonter le temps. On l'imagine sans peine: tout ne va pas se passer comme prévu...
"Et si les événements relatés par les Evangiles ne s'étaient pas déroulés comme on le croit?", interroge la quatrième de couverture. La question mériterait d'être reformulée ainsi: "Et si les
coulisses des événements n'étaient pas celles qu'on imagine?" L'hypothèse développée tout au long du récit par l'auteur, adroit et inspiré, est que le Messie n'est autre qu'un ermite
espagnol cultivé du seizième siècle, transporté au temps de Jean le Baptiste et sur ses terres... par l'équipe même qui, en remontant le temps, s'en va explorer le pays de Jésus au
temps de Jésus! Vous me suivez, au fond? L'auteur se montre très habile à faire des noeuds dans les couloirs du temps, ou plutôt dans leurs anneaux. Tel vaisseau va ainsi croiser tel autre, au
risque de compromettre le fil de l'Histoire; les voyages vont donner aux géoglyphes de Nazca une explication à laquelle l'ufologue suisse Erich von Däniken n'aurait jamais pensé; quant
au moine espagnol, c'est une victime de l'Inquisition, sauvée d'une mort certaine par l'équipe de voyageurs. Intervenant de la sorte dans l'histoire, seraient-ils les inventeurs de la
résurrection? La question est posée quelque part dans le récit.
L'équipe d'explorateurs temporels se retrouve fort étonnée de trouver, le jour de la Passion, le moine en train de porter sa croix jusqu'au Calvaire. Un coup de théâtre, de la part de l'auteur,
qui fait ensuite parler le moine dans le cadre d'un long flash-back. Son discours, parfaitement rationnel et cohérent, fait voler en éclats les miracles narrés par les Evangiles, sur l'air de
"facile, avec le savoir-faire moderne!": puisque Jésus, alias Yeshou (l'auteur utilise les noms hébreux sans les traduire en français, Lazare devenant par exemple Eliezer), vient du futur,
forcément...
Aurait-on alors affaire à un récit platement rationaliste, à une simple démolition des mythes chrétiens? Pas si facile, et c'est là que Vincent Baudry révèle une profondeur
supplémentaire en faisant intervenir le Diable - qui pousse le moine espagnol à agir. Le lecteur ne peut cependant en conclure que Jésus est téléguidé par Lucifer (qui se cache
sous le pseudonyme de Frulice): le moine espagnol agit en permanence selon sa conscience, et toute l'affaire s'achève par une forme d'exorcisme. Et je vous laisse imaginer en quel lieu et avec
quels acteurs se déroule, en fin de récit, l'apparition du Christ aux disciples d'Emmaüs... Ainsi le fantastique naît-il du divin, créant le doute, source de foi.
J'ai dû vous paraître tortueux dans ces explications... le mieux, je crois, c'est de vous forger une opinion en lisant vous-même ce récit à l'intrigue complexe, rendue limpide par un
auteur qui maîtrise la temporalité à la perfection et sait, par un langage fluide où l'humour affleure par instants, captiver son lectorat.
Vincent Baudry, Et jusqu'à la fin des temps..., Villeurbanne, Editions du Zeugma, 2009.