"La guerre du golf", comme titre de roman, on admettra qu'il fallait oser. Tel est cependant le
programme que s'offre l'écrivain suisse Georges Ottino pour un roman qu'il a publié en 1995 aux éditions L'Age d'Homme. Ouvrage fort pertinent, reposant sur trois niveaux qui ne font que
s'entremêler, entre métaphores, glissements de sens et fausses perspectives.
Il y a d'abord, telle l'infrastructure de la narration, l'histoire de deux bonshommes d'un âge vénérable qui jouent au golf. Au ras du gazon de son récit, l'auteur parvient à intéresser son
lecteur aux péripéties de ses deux bonshommes en recréant ce qui peut être l'ambiance d'un golf présenté comme un monde clos: un peu d'attente lorsque le joueur précédent traîne les pieds,
un ralentissement volontaire du récit lorsqu'il s'agit de créer un suspens autour d'une balle: rentrera, rentrera pas dans le trou? Il y a aussi la tranquillité, le silence même, requis par ce
sport, que l'auteur campe en recourant à un style serein. Naturellement, le tout est saupoudré de toute la terminologie spécifique, ainsi que de la narration de quelques traditions; mais l'auteur
sait ne point trop abuser de la patience de son lecteur: son récit est bref. Juste de quoi donner des envies de green à certains...
Le monde calme du golf se pose en métaphore de l'univers feutré de celles et ceux qui le pratiquent: des riches, ou des gens qui aimeraient bien avoir l'air. Très tôt donc, l'auteur amène son
lecteur dans les interactions entre tous ces personnages, le plus souvent absents de la narration - une manière de ragots, donc, qui permet de découvrir, par touches, qui couche avec qui, qui
fait affaire avec qui, qui arnaque qui, qui obtient de l'argent de qui, etc. Evidemment, tout cela se fait sans se salir les mains dans ce milieu, et l'auteur le rappelle fort à propos, en une
formule spirituelle: "Dans ce monde, les coups de griffe ne se donnent pas avec les ongles. Ca pourrait en abîmer le vernis." Tel est le deuxième niveau, qui prépare au troisième...
... à savoir l'intrigue policière, autour du meurtre de Gabriella Contini. Policière, elle l'est en partie: l'auteur, en fin de récit, laisse le lecteur avec l'intime conviction du narrateur
quant à l'identité du coupable, laissant hors récit le fastidieux travail de recherche de preuves qui occupe d'ordinaire la police. Le narrateur est cependant un policier; son intime conviction
serait-elle alors suffisante pour satisfaire le lecteur? Dans le cas contraire, celui-ci saura se rabattre sur les deux autres éléments évoqués. Cela, en se souvenant que tout se tient: c'est sur
les rumeurs et les faits évoqués au deuxième niveau que la réflexion, discussions et conclusions des deux joueurs se fondent. Et ces cogitations avancent au rythme cahotant de la partie de
golf, chaque trou faisant l'objet d'un chapitre.
Entre balles perdues, calme des golfs et travail de petites cellules grises en plein air qui n'est pas sans rappeler un certain Hercule Poirot (on aurait du reste pu imaginer une scène de
résolution au Club House, comme c'est souvent l'usage chez Agatha Christie), le lecteur trouvera donc son compte dans cette histoire faussement calme. Une guerre des poignards dans le dos et des
sourires par-devant, mais qui en laisse une sur le carreau...
Georges Ottino, La guerre du golf, Lausanne, L'Age d'Homme, 1995.