Il fallait bien que je termine l'année 2010 avec un roman d'un écrivain suisse - un domaine que j'ai un peu
délaissé ces derniers mois. Et c'est "La Cage aux rêves" de Monique Saint-Hélier (photo ci-contre) qui a été ma dernière lecture pour 2010. Un choix en mode majeur: publié pour la première
fois en 1932 par l'éditeur parisien Corrêa, réédité aux éditions de L'Aire, ce roman est un véritable bijou, mêlant fiction et souvenirs personnels de l'auteur pour constituer, au moyen d'une
poésie qui touche toujours juste, la trajectoire de vie de Béate, autour de laquelle tourne toute l'histoire, faisant alterner flash-back et heures vécues, pages à la première et à la
troisième personne.
"La Cage aux rêves" est un roman extrêmement poétique. La poésie naît ici des mille ressources d'un langage imagé en toute simplicité, en particulier pour dire les choses simples de la vie d'une enfant (et de l'enfance en général). Ainsi l'auteur recrée-t-elle la pertinente naïveté, certes plus profonde qu'on ne le croit généralement, de certains regards d'enfant sur le monde qui les entoure.
L'attention de l'auteur se porte sur les petites choses et les petites gens: l'école, la raccommodeuse, des roses blanches poussant sur un mur. Faisant figure de cancre de la maison un peu malgré elle, Béate relate, directement ou à travers une narration tierce, les difficultés qu'elle éprouve à apprendre à lire - et aussi la manière qui lui permet d'y parvenir. Ainsi se dépeint un certain déterminisme: la raccommodeuse considère que raccommoder est son destin, tout comme Béate finit par admettre que son déterminisme, identifié par analogie, consiste à apprendre à lire. Déterminisme également suggéré par la notion de "cage" du titre - cage où les rêves revêtent la dimension et la forme que commande le monde où l'on vit et évolue, et en adoptent les images et résonances. Cage dont la seule ouverture donne sur l'esprit du lecteur qui voudra bien ouvrir "La Cage aux rêves" et s'y plonger.
Ce déterminisme est en outre soutenu par la religion, omniprésente dans ce livre, non pas comme un élément oppressant, mais comme un sujet de réflexion et d'action naturel, quand elle ne sert pas de socle aux métaphores. Question action, le lecteur est plongé dans l'ambiance des cultes (importance des chants, de l'orgue, de la sobriété des temples protestants), mais aussi dans quelques réflexions peu amènes sur les catholiques, mal perçus et mal compris par le milieu protestant ici dépeint. En ce qui concerne les images, un seul exemple, à savoir la cheminée rose, ressemblant au "doigt de Dieu", montrée en p. 57. Quant aux réflexions, on les retrouve de manière récurrente et elles peignent elles aussi une certaine vision de Dieu.
L'image ainsi renvoyée est celle d'un dieu omniprésent, certes jaloux, mais qui comble les humbles. A partir de là, l'auteur dépeint une certaine piété, respectueuse, formelle et confiante. Cette peinture est encore étayée par les textes épiques tirés de la Bible au chapitre 3 de la première partie. Les personnages bibliques traversent le récit, à l'instar de David ou de Noé.
Qui parle de religion sera amené à se poser la question de la mort. L'auteur a été confronté au décès d'un de ses parents alors qu'elle était en bas âge, et l'on trouve, dans ce livre où, par exemple, l'un des personnages se suicide en fin de récit, des échos de cette épreuve de vie. De tels épisodes, dramatiques ou nimbés de nostalgie, sont cependant transfigurés par la musique poétique et travaillée de l'auteur, qui les rend ainsi beaux, émerveillés, par la grâce de son art. Une lecture déconcertante, comme le suggère la quatrième de couverture? Le mot est un peu fort, tant le lecteur s'immerge aisément dans ce monde. Le voyage est finalement aisé, et l'on en ressort avec les yeux et l'âme émerveillés.
Monique Saint-Hélier, La Cage aux rêves, Paris, Corrêa, 1932/Vevey, L'Aire Bleue, 2005, préface d'Alexandra Weber-Berney.