Education sentimentale, lu par Karine, La Plume Volage, Libellule, Marguerite, Marionnette, Pimpi.
Site de l'auteur: http://www.audreyparily.com.
Un peu de gêne en ce début de billet: j'ai eu quelques contacts avec l'auteur à l'époque où elle tenait régulièrement un blog reflétant, au jour le jour, la création de "Passionnément givrée". Je garde en particulier un souvenir lumineux de nos échanges portant sur le choix du titre; je lui avais fait une belle brouette de suggestions à base de jeux de mots potaches. Depuis, j'ai commandé l'ouvrage à ma FNAC habituelle, qui a pu l'obtenir en quelques semaines... et "Passionnément givrée" a pris un numéro dans la file d'attente. C'est ce week-end qu'enfin, plus d'un an après réception, j'ai fini de le lire... alors qu'entre-temps l'auteur a achevé d'écrire une trilogie entière autour de son personnage d'Isa, jeune Française expatriée au Québec, et son petit univers franco-canadien.
Quand on pense à ce livre, la première question qui vient à l'esprit est celle de son rattachement à un genre. Il serait facile de le rapprocher du genre de la chick lit, et je dois avouer que c'est dans cet esprit que je l'ai abordé. Et ce n'est pas complètement faux: il y a du sentiment là-dedans, et aussi quelques filles dans la vingtaine qui se cherchent - à commencer par la narratrice, Isa la Lyonnaise bon teint, dont l'exil volontaire à Québec a tout d'une démarche de recherche de soi, entre rêves d'écriture à succès et réalité de la vie qu'il faut gagner. Et puis, les couples se font et se défont au gré des pages... sans compter les démarches de recherche du prince charmant (personnage de Marie-Anne), qui ne sont pas sans rappeler "Les Tribulations de Tiffany Trott" d'Isabel Wolff.
Il se distancie cependant du genre de la chick lit par le fait que l'auteur exploite à fond le thème de l'expatriation et de la rencontre de deux mondes que beaucoup de choses séparent alors que plein d'autres devraient les rapprocher. France, Québec? Certes, on parle la même langue... vraiment? L'auteur signale avec malice que le scotch, ce n'est pas la même chose d'un côté ou de l'autre de l'Atlantique; elle utilise, avec une discrétion de bon aloi, quelques québécismes réjouissants pour faire couleur locale. Réciproquement, elle n'hésite pas à expliciter les allusions les plus franco-françaises au moyen de notes de bas de page parfois cocasses.
Car de l'humour, il y en a aussi dans ce roman aux notes parfois graves, qui se déroule au rythme soutenu que peut imposer un style pétillant propice à une lecture rapide et sans temps mort. Certes, les dialogues y dominent, permettant à l'auteur de faire passer l'essentiel des idées qu'elle prête à ses personnages (qui s'opposent ou se complètent sur leur vision des femmes, des hommes et des relations qui doivent régner entre eux). Mais l'auteur sait aussi varier la dynamique de son récit en recourant à des extraits de correspondance électronique, à des flash-back et à des éléments introspectifs.
La vision des relations homme-femme peut être une piste pour rattacher ce roman à un genre plus profond que la chick-lit, celui du roman d'éducation sentimentale. Et là, la progression de chaque personnage est palpable, même si les rythmes d'apprentissage et les conclusions de chacun sont différents. Ainsi, les débuts peuvent paraître assez énervants ou polarisants, puisque, pour le dire schématiquement, l'auteur met en scène trois filles qui attendent beaucoup des hommes (il y a même une wish list dans le roman, en plusieurs points) sans pour autant savoir très bien ce qu'elles peuvent apporter de mieux ou d'autre que ce que suggère une tradition catholique jugée rétrograde. La vie et la confrontation avec les mecs se chargera de les éclairer... les garçons, quant à eux, ont aussi leur dose d'immaturité (ils sont volontiers représentés comme assidus aux matches de hockey, mais peu disponibles et peu désireux de s'engager dans la vie de couple - mais qu'en est-il des filles?) mais aussi d'atouts, entre autres physiques. On pense à Maxim, garçon charmant qui semble avoir la tête sur les épaules parce qu'il a une approche carrée de l'existence, mais n'est pas exempt de doutes, ni de parts d'ombre. Ainsi la situation évolue-t-elle d'une vision en noir et blanc (tous des enfoirés affectifs!) à une approche plus nuancée et personnelle des relations entre les genres et de la vie de couple.
Le Québec est un monde nouveau pour la Française Isa, on l'a compris, et les premières pages sont essentiellement consacrées aux découvertes et à la démystification de quelques clichés (l'hiver, l'accent, les écureuils...). Mais tout au long de ce roman, le lecteur s'aperçoit que la découverte d'un nouveau pays est, finalement, la métaphore de l'exploration d'un autre univers, autrement plus riche que le plus extraordinaire des pays: soi-même.
Audrey Parily, Passionnément givrée, Boucherville, Editions de Mortagne, 2009.