Treize brefs récits pour dire les mille et une manières d'habiter et de construire son logis: voilà le
contenu du recueil de nouvelles/récits "Gros oeuvre", signé Joy Sorman et publié l'an dernier par les éditions Gallimard. Il s'agit d'un livre qui interpelle, à plus d'un titre - ne
serait-ce que parce qu'il aborde un élément de la vie de chacun d'entre nous: l'habitat. Et l'auteur n'est pas toujours conformiste dans sa démarche.
D'emblée, le lecteur est frappé par le dynamisme de la prose de l'auteur, un dynamisme qui confine au vertige à mesure que se resserrent les virgules qui segmentent les idées dans chaque phrase. Dans la première nouvelle, un rythme déterminé s'installe ainsi. Première nouvelle qui, intitulée "Etre un castor", suggère le côté animal, instinctif de l'acte de construction, et l'illustre en mettant en scène un homme qui construit lui-même son chez-lui. Instinctif? Prioritaire même: construire passe, finalement, avant l'enfantement, chez l'homme comme chez le castor. L'auteur entretient du reste le doute quant au sens qu'elle donne au mot "homme": s'agit-il du mâle de l'espèce humaine, ainsi présenté comme guidé par autre chose que par son intellect, ou de tout représentant de l'espèce humaine, auquel cas la nouvelle ambitionnerait une certaine universalité.
La nouvelle "Devenez propriétaire" confirme le dynamisme de "Etre un castor" et son rythme haletant. Son propos? Faire revivre la tradition qui veut que telle personne qui construit sa maison en une nuit devient propriétaire du terrain qui l'entoure. L'auteur amène ici une réflexion sur la notion de propriété terrienne, et convoque Jean-Jacques Rousseau à cet effet. Ainsi naît l'idée d'une forme alternative d'habitat...
... et celles-ci ne manquent pas dans ce livre. L'auteur avoue ici un penchant pour les démarches de logement curieuses, à l'instar de JPN, artiste qui choisit de faire évoluer sa maison au fil des ans, par exemple en la recouvrant entièrement (dedans et dehors!) de carrelages blancs. L'auteur choisit par ailleurs un registre mineur, plus grave, pour évoquer, dans "Célibataire II", le portrait de ce jeune cadre japonais qui vit dans une bulle fonctionnelle où seul le strict minimum nécessaire est mis à sa disposition. Logis fonctionnels? On pense aussi à l'algeco qui sert de logis à GMT dans "Ouvrier, perché", ou aux échafaudages devenus lieux de vie dans "La conquête de l'Ouest".
L'habitat sert par ailleurs de prétexte, dans "La vie tzigane", à rendre un hommage plein de tendresse à la prostituée genevoise Grisélidis Réal. Elle la met en scène dans un mobile home de 17 m2 auquel elle donne une âme - comme quoi ce n'est pas la taille qui compte, même quand on vit dans l'aisance. Il y a lä quelques pages festives, bourrées de nostalgie à l'occasion. Le goût du petit logis, qui offre l'essentiel sans fioriture, marque du reste la prose de ce récit. Faut-il tant de mètres carrés pour habiter? Et au fond, qu'est-ce qu'habiter? L'auteur invite ici le lecteur à réfléchir.
Joy Sorman, Gros oeuvre, Paris, Gallimard, 2009.