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10 décembre 2010 5 10 /12 /décembre /2010 20:31

hebergeur d'image

Rome, ville à touristes, ville d'histoire. Cité insaisissable aussi, comme ceux qui y vivent. Cité stendhalienne enfin: tout au long des presque 500 pages de son roman "Tempo di Roma", dédiée à la romancière Marie de Vivier, l'auteur belge Alexis Curvers dépeint, à travers les yeux de son personnage Jimmy, quelques instantanés de la Ville Eternelle, sur un ton d'aventures et de méditations formant, en définitive, une tranche de vie.

 

Insaisissable Ville Eternelle 

La ville de Rome constitue ici un personnage à part entière, à la fois présent et insaisissable. Tout commence par l'arrivée du narrateur en ville et, naturellement, par sa nomination aux fonctions de guide touristique dans le cadre d'un heureux concours de circonstances. C'est ainsi que le lecteur, en début de récit, se retrouve baladé entre mille monuments fameux. Mais la Rome des touristes, celle des monuments muséifiés, est-elle la vraie ville?

 

 

Certainement pas, on s'en doute. Les gens, alors? On pourrait s'y attendre. Mais là aussi, l'auteur trompe quelque peu son lecteur et esquive la profondeur de Rome. Mais c'est adroit, dans la mesure où est croquée toute une galerie de personnages en rupture de ban, expatriés, petits escrocs en fuite dans l'Italie d'après-guerre, et même une aristocrate désargentée. Tous ces gens, les lecteurs ne les connaît guère que de manière superficielle: un prénom (Pia, Geronima), un surnom même, comme l'étrange Sir Craven, homme haut en couleur s'il en est, ou justement Jimmy, Belge échoué en Italie. Dans le meilleur des cas, c'est dans les faubourgs de Rome que vivent ces gens - qui ne sont donc pas de vrais Romains...

 

L'auteur fait peut-être toucher de plus près le mystère de Rome en dépeignant, avec flamboyance, certains rituels attachés à l'église catholique. L'ouverture de la Porte Sainte de la basilique Saint-Pierre à l'occasion de l'Année Sainte 1950, sous Pie XII, constitue ici un passage magistral, lent et majestueux comme doit l'être toute attente d'un événement aussi exceptionnel (la Porte Sainte n'est ouverte qu'une fois tous les 25 ans) mais aussi description sommitale d'une irréprochable dramaturgie.

 

Rome, scène de théâtre

C'est que Rome, c'est aussi, comme le suggère l'auteur, un théâtre où chacun joue son rôle. Dans sa postface, Véronique Jago-Antoine suggère que les trois unités du théâtre sont respectées; c'est, à mon avis, un poil tiré par les cheveux pour un roman aussi long, à moins de considérer cette règle au sens large. On concédera donc avec elle que l'action se déroule en grande partie à Rome (après un non moins pittoresque début au nord du pays, où les Italiens rentrant chez eux après de longues années de travail à l'étranger se font escroquer), durant une période assez bien définie mais plutôt longue - et que l'action, qu'on purrait nommer "unité de point de vue", est perçue à travers le seul regard de Jimmy et restituée, partant, à la première personne.

 

Et puisqu'on parle de théâtre, les jeux de masques et de costumes se succèdent, qu'il s'agisse, de manière primaire, de la casquette que Jimmy revêt pour faire le guide (alors qu'il est un artiste refoulé, mais qui écrit ce qui pourrait être ce roman - beau jeu de mise en abyme) ou des habits sacerdotaux des ecclésiastiques qui se succèdent, ou encore, de manière plus subtile et déguisée jusqu'à la fin, du secret de l'homosexualité de Sir Craven.

 

 

Et Jimmy, alors?

Car qui est Jimmy, au fond? Ce jeune homme est un artiste refoulé, nous l'avons dit. Cela ne l'empêche pas d'être capable de pressentir ce que Rome peut avoir de sublime. Mais, de la même manière qu'il s'arrête au seuil du choix de vie de la création artistique, il sera refoulé de Rome en fin de récit - Rome qui conservera ainsi intact son mystère, comme Sir Craven aura conservé le sien. Allons même plus loin: Rome existe-t-elle, au fond, de manière objective? Le tableau "Tempo di Roma" de Giorgio de Chirico, cité dans ce récit comme reflet de la Ville Eternelle, n'a guère plus d'existence que la bulle de savon qui y apparaît entre deux bâtiments. Du coup, la seule véritable Rome n'est-elle pas, uniquement, celle que chacun porte en son coeur, celle sur laquelle chacun plaque rêves et fantasmes?

 

 

Cette trame complexe sous-tend un roman aisé et naturel, d'une écriture parfaitement maîtrisée on l'a compris, où alternent des pages méditatives voire introspectives et des narrations de péripéties dotées d'un certain humour, que n'aurait pas renié un écrivain se réclamant du genre picaresque - tant il est vrai que souvent, les scénarios grandioses côtoient les arrière-plans misérables et les situations pittoresques.

 

 

Alexis Curvers, Tempo di Roma, Paris, Robert Laffont, 1957/Bruxelles, Labor Littérature, 2008. Préface de Jacques Peuchmaurd, lecture en postface de Véronique Jago-Antoine.

 

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commentaires

A
<br /> La ville de Rome sous un jour moins touristique, on dirait.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> ... ou qui évite l'écueil de n'être que touristique: tout y est, dans ce roman, mais il y a encore plus que ça.<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Ce livre me fait envie...<br /> Rome est une ville sublime avec une atmosphère bien particulière.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> ... et ce roman démontre que tout cela est à la fois bien réel et bien insaisissable! C'est effectivement une belle lecture, et un classique de la littérature belge.<br /> <br /> <br /> <br />

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