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7 mars 2010 7 07 /03 /mars /2010 21:53
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Cinq réfractaires, et sous le digne patronage de Patrice Mugny? Les Suisses les plus superficiels se diront qu'il s'agit à nouveau d'une "Genferei" dont nos amis du bout du lac ont le stupéfiant secret. Qu'on se garde de le penser! Avec "Les réfractaires", les éditions Cousu Mouche font un pas dans la littérature expérimentale, avec succès. L'idée? Enfermer tour à tour cinq écrivains dans une cage de verre et les inviter à rédiger, l'un après l'autre, un épisode de ce qui doit devenir un roman.

Chacun s'est certes déjà amusé à ce genre de récit à plusieurs mains, ne serait-ce que pour tuer l'ennui des cours de lycée. Cela s'est aussi déjà fait à un niveau supérieur, par exemple à l'enseigne du "Cyber Poulpe", ouvrage collectif s'il en est. Le côté "première en son genre" doit donc être relativisé; mais on laissera à Fred Bocquet, Paule Mangeat, Eugène, Blaise Hofmann et Michaël Perruchoud, qui sont les cinq artisans de cette gageure, le mérite spécifique et inaliénable d'avoir produit ce livre en public, en cinq jours, dans le cadre du festival "La Fureur de lire", tenu à Genève du 23 au 27 septembre 2009.

Cinq personnes et un sujet... celui-ci a été choisi, par tirage au sort, par Patrice Mugny, politicien genevois vert en charge de la culture. Sa main innocente (?) a fait que l'équipe d'écrivains a dû plancher sur l'amour et les réfractaires, sur la base d'une intrigue policière. Plus concrètement, douze personnes dont on ne sait pas grand-chose se retrouvent pour un séminaire organisé dans un ancien couvent construit en France voisine (donc peut-'être dans l'Ain, peut-être dans le Pays de Gex) pour se guérir de ce sentiment irrésistible qu'on appelle l'amour.

Le début du récit organise le flou: qui sont les personnages (à part peut-être un entrepreneur particulièrement bien profilé avec son véhicule tout-terrain)? Que vont-ils faire dans cet établissement de luxe? On pense assez vite à une quelconque franc-maçonnerie, voire à l'Ordre du temple solaire, qui a défrayé la chronique voilà quelques années. Par endroits, l'ésotérisme confine à ce qu'un certain Dan Brown peut faire. Huis clos? Le lecteur peut avoir cette impression en entamant sa lecture, d'autant que ce jeu reflète le caractère intrinsèquement clos de la cage de verre où la performance a été réalisée. 

Le résultat paraît suffisamment dirigé pour que le lecteur ait l'impression d'avoir face à lui une oeuvre cohérente. De ce côté-là, l'exercice est un succès. Il n'empêche pas un aspect surréaliste et délirant finalement attendu au vu de la démarche - et qui tend à s'affirmer au fil de la lecture des chapitres. Le fait que plusieurs auteurs se succèdent pour écrire ce roman, enfin, lui donne un goût particulier: de nombreuses portes sont ouvertes, générant un suspens très fort, mais elles ne seront refermées que si les auteurs qui suivent le veulent bien. Un goût d'inachevé, alors? Que non point, car l'essentiel est sauvé. Et pour le reste, ce roman mérite son surnom de "dahu" de la littérature, objet boiteux mais qui assume pleinement sa claudication.

Un autre élément garantit la cohésion de l'ensemble: son unité stylistique. Le lecteur averti conviendra que ces auteurs ont tous une forte personnalité dans leurs écrits; mais le résultat, ici, donne l'impression que chacun a cédé un peu de terrain afin que l'ensemble donne une impression d'unité au lecteur. Difficile, même pour un connaisseur, de dire qui a écrit quoi. En revanche, la longueur des chapitres est fort diverse - on peut donc tout à fait imaginer qu'un auteur ait passé le plus clair de son temps imparti à lire ce qu'a fait son prédécesseur, à pondre ses trois lignes (cf. p. 21) et... à aller tranquillement boire une bière pendant le reste du temps imparti.

Au final, on constate que l'ouvrage s'intéresse aux interactions entre les personnages, interactions ébauchées souvent, mais nombreuses. Certains personnages sont mieux mis en lumière que d'autres, sans compter les frasques étranges des deux barbus. On découvre aussi la richesse matérielle respective de chaque personne présente, rien qu'en observant la marque de sa voiture. Enfin, le relationnel est ici marqué par le refus de l'amour, un refus qui ouvre la porte à des ambiances tendues. Tiendra-t-il jusqu'au bout? Le fait est que ce n'est qu'à la fin que le lecteur comprend pourquoi "Les réfractaires" s'intitule ainsi.

Collectif, Les réfractaires, Fribourg/Genève, Faim de siècle/Cousu Mouche, 2009.

Le site de l'éditeur:
http://www.cousumouche.com (qui, dans le genre expérimental, ont aussi mis au point un système de création d'un polar dont vous êtes le héros).   

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