Premier roman, lu par Cajou, Canel, Chaplum, Clara, Lady K, Mara, Noukette, Pralineries, Stephie, Sylire, Val, Zazimuth.
Lu dans le cadre du défi "Premier roman".
Un huis clos pour dépeindre une existence réduite au minimum, concentrée sur des relations narrées sans dramatisation inutile. Voilà ce que réserve « Enola Game », le premier roman de Christel Diehl, paru aux éditions Dialogues (merci à Mme Cappellesso pour l’envoi).
L’entrée en matière paraît cependant contredire ce programme minimaliste en arborant un style tourmenté où les points d’interrogation se succèdent (troisième paragraphe, p. 11), suggérant avec force l’incertitude qui frappe soudain les deux personnages féminins de ce récit : une mère et sa fillette. Très vite, cependant, le lecteur bascule dans un monde où tout est réduit à l’essentiel, où chaque geste est interrogé quant à son utilité et à son coût.
Du fait de son caractère à la fois indéfini et violent, l’origine du basculement a tout de l’absurde. Elle a plusieurs noms, Grande lumière, Année zéro, Enola Game – un nom guerrier qui renvoie immédiatement à la tragédie d’Hiroshima et suggère le côté inconnu, impalpable et hostile du point zéro du récit.
De nombreux éléments induisent une certaine ambivalence vis-à-vis de l’extérieur. Il y a naturellement quelques éléments positifs : le père de famille est quelque part hors de chez lui, comme certains membres proches de la famille (mère de la mère, soeur aînée) des deux femmes. Mais c’est le côté hostile qui domine, instillant dans l’esprit du lecteur, par contagion, une défiance face à ce qui pourrait, l’auteur le suggère discrètement, une guerre : on ne mange pas ce qui vient de l’extérieur, on considère que l’extérieur est toxique, et des chars d’assaut circulent dans la rue. Les hommes de l’extérieur sont même traités de « salauds » à une reprise (p. 41).
Il est dès lors possible de songer que l’ouvrage est une représentation stylisée d’un cocon, représentation de l’amour mère-fille – un amour qui pourrait rapidement s’avérer malsain, étouffant à force d’être introverti, dans la mesure où il n’entend ouvrir sur rien. Certes, aucune ouverture n’est possible ; mais aucune n’est vraiment recherchée non plus, tant il est vrai que la mère se méfie de l’extérieur et transmet cette méfiance à sa fille.
Reste que l’univers que les deux personnages se recréent à l’intérieur de la maison a ses moments de bonheur, faits d’une simplicité retrouvée. L’exemple des disques de musique classique est parlant : la mère les retrouve avec joie après avoir téléchargé trop de musique sur des sites de piratage et d’échange pour pouvoir réellement l'apprécier. Les souvenirs et l’introspection viennent nourrir le récit, et certains rituels de fête retrouvent une pleine saveur.
C’est donc à une œuvre d’un grand dépouillement, en phase avec un propos qui bannit tout superflu, que l’auteur invite. Le lecteur se sentira concerné par le sort de cette mère et de sa fille, enfermées dans un univers qui devient de plus en plus petit et où se réinventent quelques plaisirs simples, trop facilement oubliés au temps de l’abondance. Avant Enola Game.
Christel Diehl, Enola Game, Brest, Editions Dialogues, 2012.