Amis français, qu'est-ce qu'un pendulaire? A l'instar de l'un des personnages qui émaillent le recueil de brèves nouvelles justement intitulé "Pendulaires à plein temps", signé Hadi Barkat et publié aux Editions d'En Bas, il s'agit d'une personne qui se rend chaque jour de son lieu de domicile à un lieu de travail situé dans une autre ville. Le terme est typiquement suisse, les Belges parlant de "navetteurs". Etant moi-même l'un de ceux-ci, je me devais de lire ce petit livre.
Sa couverture, montrant une femme qui bouquine au bord des voies, rappelle d'ores et déjà plein de souvenirs aux habitués des chemins de fer fédéraux suisses. Prise par Laurent Gilliéron pour Keystone, la photo date du soir de la mémorable panne qui paralysa l'ensemble du réseau pendant plusieurs heures, un certain 22 juin 2005. L'affaire avait fait le tour du monde: pensez donc, dans tout le pays, plus un seul train ne circulait! La panne est du reste évoquée dans l'une des nouvelles du recueil, vue à travers le prisme déformant, forcément déformant, d'une journaliste à qui un voyageur a raconté des mensonges.
L'ouvrage lui-même se présente de façon aérée: les pages blanches sont nombreuses, les textes sont brefs et se lisent rapidement. C'est du reste un atout, vu leur sujet "ferroviaire": ils sont parfaits pour être lus dans le train, voire dans les transports publics urbains. Deux ou trois pages suffisent à l'auteur pour brosser un portrait, peindre une situation avec un talent certain de l'observation. Hadi Barkat vit à présent à Boston; gageons cependant qu'il a régulièrement pris le train quelque part entre Genève et Zurich. Et peut-être même qu'il a dû commander un café en allemand à un collaborateur sri-lankais de la société qui gère les railbars - tel est le propos de la touchante nouvelle "#3".
La première nouvelle, "Ca va bien?" plonge le lecteur dans les trépidations d'un Intercity bondé aux heures de pointe. L'itération du "je" en début de phrases et la succession de phrases courtes crée d'emblée l'ambiance: on joue des coudes, tout va vite, prendre le train est la première bataille du matin, surtout si l'on veut être assis. Tout cela tranche avec les quelques politesses que s'échangent deux personnages en fin de récit. Histoire de place assise également dans "L'invraisemblable altruisme des automobilistes", où un vieillard impotent désireux de s'asseoir dans un train bondé doit faire face aux mille et un prétextes qu'ont les gens pour ne pas se lever, et ce, à bord d'une composition spéciale amenant des visiteurs au Salon de l'Auto de Genève - il faut dire qu'en Suisse, le train est le moins mauvais moyen de se rendre à cette manifestation routière très courue.
Il y a aussi quelques histoires d'amour là-dedans. Je garde un souvenir assez ébloui du chassé-croisé de "Conversations", dialogue entre six amis, trois gars et trois filles, qui couchent tous les uns avec les autres sans que personne n'en sache rien... ce texte donne du reste son sens au titre du livre. Bluette également dans ce dialogue sur papier (et pour cause) entre un voyageur et sa voisine de quelques minutes à bord d'un compartiment silence: c'est "33 minutes". Les amours se font plus pressantes, enfin, dans "Hasard du soir".
Joli recueil donc, et agréable surprise pour une première oeuvre littéraire, de la part d'un auteur qui a trempé sa plume pour d'autres causes avant de faire le pas de la nouvelle. Ceux qui aiment lire... prendront donc le train!
Hadi Barkat, Pendulaires à plein temps, Lausanne, Editions d'En Bas, 2009.
Le site de l'auteur: http://www.hadibarkat.com.
Le site de l'éditeur: http://www.enbas.ch.
Le site des CFF (qui sont mon employeur, soit dit en passant): http://www.cff.ch.