Ils l'ont aussi lu: Mango, Pimprenelle, Velda.
Lu dans le cadre du défi Thriller et du défi 1% rentrée littéraire.
Merci aux éditions Marabout pour l'envoi!
Si elle a ses hérauts dans la vraie vie, la chasse aux anciens nazis est aussi un thème récurrent du domaine littéraire de l'après-guerre. En 1985 déjà, pour ne citer qu'un exemple, un certain Frédéric Dard, dit San-Antonio, l'abordait dans "Plein les moustaches", en signalant la raréfaction des nazis survivants, cachés un peu partout dans le monde. Autant dire qu'en campant son récit au début du XXIe siècle, l'écrivain espagnole Clara Sánchez, auteur de "Ce que cache ton nom" (en librairie à partir du 26 septembre; prix Nadal 2010 en Espagne), se condamne à mettre en scène une poignée de vieillards qui se regardent en chiens de faïence. Et cela, d'autant plus que le chasseur est lui-même un rescapé des camps de la mort, essentiellement motivé par l'idée d'en coincer un, enfin, en mémoire de son défunt compagnon d'infortune, décédé de mort naturelle un peu avant le début du roman et dont l'ombre tutélaire va s'étendre sur toute l'intrigue.
Pour que l'ouvrage ne se résume pas à la description d'une réunion de personnes âgées et amères, l'auteur use d'un stratagème habile: faire parler tour à tour une jeune femme enceinte, Sandra, et le chasseur de nazis, Julián. Un jeu de regards croisés adroit, d'autant plus que la jeune femme ne se rend pas compte de ce dans quoi elle met les pieds. Techniquement, en fraternisant à la fois un couple d'anciens nazis de haut vol et leur chasseur, elle - la jeune femme - joue un rôle pivot d'agent double, permettant au lecteur de voir ce qui se passe dans les deux camps.
C'est grâce à elle que le lecteur découvre que les anciens nazis vivent en communauté... et que leur nid comprend des jeunes, idiots utiles d'un système dont Sandra découvre les rouages, qui sont des classiques: élixir de longue vie, séances mystiques, et même Aribert Heim en personne - dont on a du reste confirmé dernièrement le décès. Pas bête, d'ailleurs, de la part de l'auteur, de faire resurgir le Boucher de Mauthausen (seul personnage réel de ce roman) sur la Costa Blanca: son décès en Egypte est resté incertain pendant vingt ans.
Autre signe de l'habileté quasi machiavélique de l'auteur: faire passer le couple Christensen (les anciens nazis, donc) pour de braves Norvégiens bien sympathiques venus finir leurs jours au soleil et désireux d'engager une dame de compagnie. Il eût été encore plus adroit, de la part de l'auteur, de faire découvrir le pot aux roses en cours de route; le lecteur se consolera en se disant qu'il en sait un peu plus que Sandra, hé hé...
Vu l'âge et la situation des protagonistes, cependant, les amateurs de romans où l'action est au rendez-vous à chaque coin de page devront passer leur chemin. Long (un peu trop) et lent, ce roman ressemble plus à une partie d'échecs où chacun calcule son coup sur l'air du "je sais que tu sais que je sais", jusqu'à constituer un univers où les esprits, plutôt que les corps, s'affrontent jusqu'à l'usure: au fond, le suspens est avant tout psychologique, tissé de tensions entre êtres humains. Le climat est propice à la méfiance, par exemple à l'encontre du personnel de l'hôtel dans lequel vit Julián. En particulier, le détective officiel de l'établissement est-il ami ou ennemi?
Des longueurs donc, c'est indéniable, et c'est aussi indissociable du propos: l'introspection et les flash-back font partie de la narration, les interrogations existentielles de Sandra, femme enceinte d'un homme qu'elle n'aime pas vraiment (mais quand même un peu, c'est compliqué), font écho aux souvenirs des camps qui reviennent à la mémoire de Julián. Cela peut paraître ennuyeux. Mais force est de constater aussi le côté magistral de la construction de "Ce que cache ton nom", un roman techniquement irréprochable, servi par la traduction de Louise Adenis.
Clara Sánchez, Ce que cache ton nom, Paris, Marabout, 2012, traduction de Louise Adenis.