Lu par Livriothèque.
Merci à Babelio et aux éditions L'Ecailler pour l'envoi.
Défis Thriller et Rentrée littéraire.
Presque un roman noir, en tout cas un roman politique, certainement un roman psychologique: le lecteur a de quoi s'interroger au terme de sa lecture de "Le fasciste et le président" de Gérard Bon. Et si cette confusion des genres n'était rien d'autre que le reflet formel du personnage principal? Question d'autant plus pertinente que la construction des deux personnages évoqués par le titre est justement le point fort de ce roman, paru dans le sillage de l'épatante rentrée littéraire 2012.
Qui parle, en effet? L'auteur adopte le point de vue d'un journaliste sexagénaire marqué à droite nommé Brouwer, dont il dresse le portrait en plein et en creux. L'auteur joue avec la répulsion que peut avoir le lecteur à se mettre dans la peau d'un vieux fasciste (la notion de "fasciste" resterait à définir dès lors qu'on quitte le contexte de l'Italie mussolinienne, soit dit en passant; ici l'auteur ne fait qu'exploiter les stéréotypes usuels en comptant sur l'effet de connivence), présenté comme tel sans retenue particulière. Mais que le lecteur se rassure: l'auteur joue aussi avec les métaphores pour suggérer que le journaliste en question est un looser, et que par conséquent ses idées le sont aussi, par un amalgame qu'on fera facilement et que le personnage de Brouwer assume en reconnaissant que ses idées droitardes l'ont le plus souvent bloqué. Et pour qui ne serait pas convaincu, l'auteur affuble Brouwer d'un problème de santé fréquent chez les mecs de son âge, mais particulièrement gênant parce qu'il touche à la virilité. Ce qui rappelle de très loin le roman "Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable" d'un certain Romain Gary...
Face à lui, se trouve un autre personnage à la construction intéressante: celle du président, Jean-Dominique Glock. Le nom est tout un programme: il évoque de manière franche un certain Dominique Strauss-Kahn, et l'ancien patron du FMI a effectivement contribué au modelage de son double romanesque, présenté comme un homme d'un certain âge qui aime les femmes. Et côté physique, ledit président tient de Nicolas Sarkozy puisqu'il est présenté comme petit et comme artisan de l'accueil de Kadhafi à l'Elysée. De là à penser que ce roman a été conçu juste avant l'affaire du Sofitel, lorsque tous les observateurs s'attendaient à un duel DSK-Sarkozy au deuxième tour de l'élection présidentielle française de 2012, il n'y a qu'un pas... Enfin, le patronyme de Glock suggère un personnage plutôt offensif, puisqu'un Glock est un type d'arme à feu. L'auteur, malheureusement, n'exploite guère cette piste, si ce n'est de façon indirecte.
L'histoire, disons-le à présent, se déroule en Afrique dans le cadre d'un voyage de presse officiel. Le lecteur va découvrir ce petit monde de l'intérieur, avec ses impondérables, ses complaisances, ses lâchetés et l'ambiance qui peut régner entre des journalistes qui ne sont pas forcément réunis pour s'entraider. Cela, sur un continent que Brouwer, le personnage principal, ne peut s'empêcher d'aimer, à sa manière. De même qu'il paraît aimer sincèrement Zizi, l'une des journalistes du voyage - ce qui suggère que, oui, un facho peut avoir un coeur...
Et de même que Brouwer est un personnage qui ne s'est pas totalement accompli (et se confesse au fil des pages), "Le fasciste et le président" pourrait être un roman noir dont l'intention n'est pas aboutie. Il est en effet question de flinguer le président à un moment donné, assez tard dans le récit... et de faire ainsi un gros coup. Je laisse aux lecteurs le soin de découvrir ce qu'il adviendra de cette intention, mais qu'on sache que l'issue choisie par l'auteur exclut ce livre du genre du roman noir au sens strict. Dès lors, on peut se demander si ce livre est aussi velléitaire que son narrateur, certes desservi par les circonstances...
Le lecteur se retrouve donc face à un récit étonnant et non dépourvu de qualités - en particulier, la peinture psychologique des personnages est fine et détaillée. Il ne pourra cependant s'empêcher de se demander dans quoi il a mis les pieds, et de se demander si, entre roman noir et récit psychologique sur fond d'exotisme, ne s'est pas fait un peu balader. Perso, sans avoir boudé mon plaisir, j'en sors perplexe...
Gérard Bon, Le fasciste et le président, Marseille, L'Ecailler, 2012.