Lu par Ars Legendi, Blue, Books, Caro, Chani, Charabistouilles, Gala, Libellul, Liliba, Lily, Liyah, Question SF, Roch Archambault, Sandrine, Zaza.
Défis Premier roman et Challenge Royal.
L'histoire, on la connaît: c'est celle du Programme, calquée sur le schéma d'un match de catch. 42 élèves d'une classe sont séquestrés sur une île et ont pour mission de s'entretuer, sous l'experte et sadique férule d'un maître de jeu - le tout se déroulant dans un empire fascistoïde qui pourrait bien être un certain Japon. Tous les coups sont permis dans le premier roman de Koushun Takami, Battle Royale, qui connaît depuis quelques années un succès qui ne se dément pas et repose sans doute sur la fascination malsaine et hypnotique qu'il exerce.
L'aspect gore de la démarche saute aux yeux (et à la gorge) dès le début. La première partie, assez anarchique pour ce qui est des rapports entre les élèves, s'avère d'une cruauté certaine, comme si l'auteur tenait à mettre d'emblée son lecteur au parfum en faisant le ménage, avant de calmer le jeu avec une deuxième partie qui se concentre plus précisément sur les tentatives d'alliance.
Cette cruauté se double d'une déshumanisation des élèves en lice. Ils sont souvent désignés par des numéros, que ce soit leur numéro de sortie ou leur numéro d'ordre dans la classe (F/G). Chacun des chapitres s'achève sur l'annonce du nombre d'individus restants - juste un chiffre, sans qu'il soit précisé qu'il s'agit de personnes. Enfin, l'auteur relève à plus d'une reprise que des nettoyeurs, des éboueurs donc, viendront nettoyer les cadavres sur l'île qui sert de champ de bataille. Ce qui ferme la porte à toute sépulture digne et humaine... Le lecteur, quant à lui, est bien forcé d'admettre qu'il a vite oublié les personnages, une fois qu'ils sont morts, même s'il a pu les trouver sympas un moment lorsqu'ils étaient vivants.
Avec 42 élèves encadrés par une poignée d'adultes, l'auteur a de quoi s'amuser dès lors qu'il s'agit de construire des psychologies et caractères. Toutes les personnalités ne sont pas dessinées de manière égale, certains personnages sont juste esquissés d'un trait. On pourrait pressentir que ceux-ci vont mourir les premiers, après une brève figuration, mais l'auteur est un peu plus finaud: il conserve jusqu'au bout quelques-uns de ces seconds couteaux, tout en sacrifiant parfois assez vite des élèves a priori plus précisément construits et donc plus prometteurs, tels que Yoshitoki Kuninobu. Ce qui permet, dans une certaine mesure, de brouiller les pistes - tout en sachant que la focalisation du roman sur le personnage de Shûya Nanahara, dès les premières phrases, peut laisser entendre qu'il va s'en sortir. Quand à Kinpatsu, l'animateur ironique, l'auteur parvient à le rendre délicieusement abject...
Et du choc des psychologies, des qualités et des défauts physiques et psychiques de chacun, naît un beau jeu d'interactions, de trahisons, d'alliances fragiles, de plans astucieux, de stratégies d'évitement ou d'affrontement, manières de vivre le changement lorsqu'il est contraint, etc. L'auteur développe tout l'éventail des relations humaines dans son huis clos insulaire, un peu à la manière d'une métaphore de la société humaine telle que nous la connaissons - simplement d'une manière qui exacerbe les travers jusqu'à la caricature. Tout cela s'imbrique avec finesse, dans un grand souci du détail.
Face à ce propos, le lecteur est amené à réagir d'une manière perverse: il va se demander qui va crever ensuite et comment, ou se surprendre à vouloir crier à tel personnage de tuer tel autre - quitte à prendre le parti d'une ordure. Des réactions qu'on pourrait avoir aussi face à un combat à mort entre gladiateurs, et qui interrogent: le lecteur sera-t-il aussi odieux que ceux qui parient sur le nom du champion du Programme?
Enfin, la plume de l'auteur est conforme à ce que l'on peut attendre d'un tel récit: il y a un sens du rythme certain, avec des accélérations fulgurantes lorsque tel personnage vide son chargeur dans le buffet d'un autre et des ralentis fondés sur la description des dernières sensations ou des dernières pensées, lorsque quelqu'un meurt. L'auteur aime par ailleurs jouer avec les images et comparaisons. Celles-ci sont parfois outrées, jusqu'à en devenir drôles, conférant à certaines pages de "Battle Royale" le parfum délicieux d'une bonne vieille série B. Reste que tout cela se dévore, qu'on a envie de savoir... et que le lecteur se retrouve témoin, pour ne pas dire voyeur, de quelque chose d'horrible qui ne peut que le fasciner. Sûr de son coup, l'auteur va jusqu'à parier que nous serons des millions à avoir surmonté le jeu - en ayant achevé la lecture de ce roman. Pari gagné.
Koushun Takami, Battle Royale, Paris, Le Livre de Poche, 2009, traduction de Patrick Honoré, Tetsuya Yano et Simon Nozay.