Etrange titre que celui du dernier opus de Bastien Fournier, "Pholoé"! L'auteur donne le nom de cette montagne grecque mythique à la jeune femme dont il brosse la destinée, de manière brève et fulgurante puisque ce roman à la couverture sévère pèse 92 pages et se découpe en 29 chapitres au style ciselé.
Cela s'ouvre sur un premier chapitre qui, d'emblée, donne le ton de la sensualité, qui va accompagner le lecteur tout au long de ce petit livre. Adroitement, l'auteur démarre sur un flou artistique avant de montrer peu à peu son personnage, dans une mise au point quasi cinématographique qui va jusqu'à la précision hallucinante: alors qu'au départ, rien ne permet de savoir à qui nous avons affaire, en fin de chapitre, nous savons tout de la jeune femme dont il sera question: Pholoé, son corps, son être, dépeints avec la caresse d'un regard attentif. Et d'un point de vue formel, l'auteur met ici en place un principe stylistique constant: la phrase courte.
La phrase courte accroche le lecteur. Elle s'accompagne ici d'une démarche d'itérations et d'anaphores fréquentes, qui peut passer pour un procédé facile mais sert surtout à installer une musique envoûtante, synonyme de poésie et de rythme, dans les passages les plus sensuels, les plus érotiques du texte. Elle se veut aussi servante d'une minutie de tous les instants. Envoûtement suggéré par l'omniprésence du vin, boisson enivrante, susceptible de faire accéder qui en boit à un état de conscience différent - un peu flou parfois, mais aussi, à l'occasion, d'une précision extrême en ce qui concerne certains détails.
C'est aussi par les détails que l'auteur dépeint, et c'est un épisode bien monté de ce roman (chapitre 2), l'ambiance d'une salle de classe. La juxtaposition pure et simple de phrases pouvant être entendues en contexte scolaire, explications hachées menu tirées des leçons les plus diverses, suffit à recréer la salade d'informations qu'une lycéenne comme Pholoé ingurgite jour après jour. Même méli-mélo de sentiments et de choses vues, lorsqu'il s'agit de dépeindre une fugue à deux pour Berlin (une ville déjà évoquée par l'auteur dans "Le Cri de Riehmers Hofgarten"): les sentiments et l'intimité côtoient les choses vues et entendues, l'éducation sentimentale frôle Mozart et Bernstein entendus à la Philharmonie. C'est un autre contexte... vraiment? Le voyage à Berlin et l'école ne sont-ils pas, au fond, les deux avatars de ce qu'on appelle l'apprentissage de la vie?
Lycéenne, ai-je dit. L'attention au corps de Pholoé n'a rien d'un hasard; elle se veut plutôt la volonté de suivre de près l'évolution physique d'une adolescente et la manière dont elle se l'approprie: "Elle aime son propre corps et l'admire. Ses seins se sont épanouis. Ses hanches se sont élargies. Ses cuisses se sont affinées. Même ses talons qu'elle n'aimait pas lui plaisent." (p. 59). Cela, accentué encore par le jeu du maquillage. Cette évolution physique est le reflet d'un développement mental suggéré par le voyage (Berlin, Islande, Plovdiv), conformément à l'idée bien connue que les voyages forment la jeunesse.
"Pholoé est un hymne à la vie, un appel à la joie, un cri de désir qui peut être entendu", dit la femme de théâtre valaisanne Marine Billon dans le prière d'insérer. J'y vois également le récit exemplaire et réussi d'une jeunesse qui se passe, entend se frotter à l'autre et à l'étranger, et entend aller plus loin - afin de voler de ses propres ailes, comme les canards du dernier chapitre, annonciateurs d'un printemps de la vie.
Bastien Fournier, Pholoé, Vevey, L'Aire, 2012.
Lu dans le cadre des défis Littérature suisse et Rentrée littéraire.