Roman nord-coréen, lu par Phil, Seren.Dipity.
Un roman sur le divorce, encore ? Certes. Ecrit par Baek Nam-Ryong, « Des Amis » est le premier roman nord-coréen traduit en français. C’est aussi un récit qui, au travers de la relation des vicissitudes et des compromis d’un couple qui bat de l’aile, développe une certaine idée du divorce. Celui-ci est ici perçu comme un acte social, qui s’inscrit comme une cassure dans un monde qui se présente comme uniformément soudé et que le traducteur présente, en préambule et en cours de lecture, au moyen d’une préface et de notes qui lèvent un coin du voile sur la Corée du Nord et les méandres de la traduction.
Un juge face à deux conjoints
C’est le juge, Jong Jin-Woo, qui se trouve au centre du récit. Le lecteur perçoit ce représentant de l’Etat et du Parti comme un homme qui a raison avec l’institution qu’il représente, et qui finit toujours par arriver à ses fins. Cette vision souligne l’aspect public d’une démarche de divorce, qui passe, dans la Corée du Nord que dépeint l’auteur, par l’inquiétant palais du tribunal municipal populaire. Au fil des pages, l’auteur montre ce juge en train de mener l’enquête dans l’optique de sauver un couple. Mais cette démarche l’amène à réfléchir sur sa propre vie de couple, et invite le lecteur à se poser en observateur critique d’une société nord-coréenne finalement peu connue – en tout cas de ce point de vue.
Au-delà du divorce d’un ouvrier tourneur intègre et sans relief et d’une cantatrice ambitieuse pour deux, en effet, c’est tout un monde que l’auteur dépeint, avec de nombreux détails. Ce monde, dont il est lui-même issu, c’est celui de l’usine. Progressivement, le lecteur découvre des questions de reconnaissance parfois factice, de formation aux métiers, mais aussi de perfectionnement et d’acquisition de diplômes universitaires. La position d’un collaborateur face à ce type d’opportunité est également dépeinte – en l’occurrence, une position de rejet empreinte de fausse modestie, puisque l’ouvrier est aussi un inventeur de bonne volonté. L’usine joue enfin le rôle de lieu de vie pour la cantatrice, qui est également ouvrière avant que son talent ne soit découvert. C’est du reste à l’usine qu’elle développe ce dernier, avant d’être déléguée à un niveau supérieur.
Cet univers contraste avec les décors naturels où se déroulent les épisodes les plus sentimentaux du récit. L’auteur sait ici faire usage d’un style poétique et sentimental, allant jusqu’à montrer l’ouvrier en train de jouer de la musique – ce qui est sa manière à lui de montrer son cœur à sa future épouse.
Radiographie des âmes
Vu comme un défaut indésirable du maillage social, le divorce doit être évité à tout prix. Le juge intervient comme un facilitateur, qui radiographie avec acuité les âmes de chacun afin de mettre au jour les faux-semblants de chacun, de déceler les mensonges de l’entourage du couple et d’inviter les deux conjoints en instance de séparation à faire des concessions réciproques. Cela, en ayant également à l’esprit le destin des enfants nés de l’union qu’on entend défaire.
Non exempt de pages édifiantes, « Des Amis » est écrit sur un ton soutenu sans excès, quitte à paraître un peu lisse. Au-delà du destin d’une poignée de personnages, il reflète une société où chacun a sa place bien assignée, empreinte d’une rigidité certaine, propre à déphaser passablement le lecteur occidental. Cette rigidité est suggérée aussi par la longue citation, abrupte, didactique, d’extraits de la thèse de doctorat du juge sur les origines historiques du mariage. On la retrouve dans un chapelet de proverbes sur le mariage, placé dans le cadre d’une scène de noces et qui reflète le caractère immémorial et figé d’une institution.
Baek Nam-Ryong, Des amis, Ed. Actes Sud, 244 p. Préface de Patrick Maurus. Traduction de Patrick Maurus et Yang Jung-Hee, avec l’aide de Tae Cheong.