Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
10 mars 2011 4 10 /03 /mars /2011 21:14

hebergeur imageRoman, lu par LuluMélusine.

 

Bruno Gibert? Je l'ai approché à deux reprises déjà, avec "Les écrivains", qui me laisse le souvenir principal d'une désacralisation en règle du métier de l'écrivain moderne, et "Réussir sa vie", dont la mémoire m'est encore plus vague. Mais "Avec enfant", son cinquième roman (sans compter les livres pour la jeunesse), devrait me laisser des impressions plus prégnantes, tant il est vrai que le propos et son traitement sont, cette fois-ci, très personnels et particulièrement vigoureux.

 

Le propos, justement... sur une bonne centaine de pages à l'écriture fulgurante, l'auteur écrit à sa fille adolescente. Une lettre imaginaire, peut-être, ou une mercuriale jamais prononcée. Car c'est bien de cela qu'il s'agit: d'un père qui exprime, pour le moins avec vigueur, son incompréhension mêlée d'un ras-le-bol diffus face aux comportements d'une fille qu'il ne comprend plus, qui lui est pour ainsi dire devenue étrangère.

 

La vigueur naît du choc des contradictions nombreuses nées entre le narrateur et sa fille. Contradictions entre des comportements qui amusent la fille et énervent le père à l'instar de la complicité qui s'installe entre la fille et sa correspondante berlinoise, contradiction entre les préférences en matière de goûts de villégiature: soudain, ce n'est plus la fille qui suit son père pour aller en vacances, mais le contraire. Et pour ne rien arranger, la fille n'est quand même pas contente...

 

Emerge aussi, en filigrane, l'impression peu agréable, pour le père, d'être peu à peu largué. "Berlin-Est ou Ouest?", a-t-il par exemple demandé à la fameuse correspondante allemande... qui ne fait plus de distinction entre les deux parties historiques de la ville, alors que la génération précédente en était très consciente. Le largage est aussi géographique, la fille tenant désormais beaucoup à disposer d'un espace où le père ne mettra pas les pieds et qu'elle défendra bec et ongles. Est-ce l'expression d'une peur? En tout cas, les souvenirs font figure, dans ce texte, de refuges, à double titre. Pour le narrateur, c'est l'occasion d'évoquer quelques belles pages d'enfance, de se souvenir d'un âge d'or à jamais révolu, après les difficultés de la toute petite enfance (rappelées sans complaisance) et avant les affres de l'adolescence. Et pour le lecteur, cela génère des plages de répit entre des pages plutôt rudes.

 

C'est que le narrateur ne prend pas de pincettes pour dire son fait à sa fille, réelle ou imaginaire. "Maintenant, j'ai envie de te traiter de tous les noms", lit-on ainsi en page 9 déjà. Mais l'homme qui parle a aussi conscience de la fragilité de sa fille, et se voit, gêné peut-être, tenté d'en profiter - et ce, dès l'incipit: "Il suffirait sans doute d'un rien pour que tu te brises en mille morceaux. Il suffirait que je trouve une remarque répugnante sur ton physique (que j'ose de moins en moins détailleer) et que te la lance au visage comme on jetterait une serpillière, pour que tu t'effondres définitivement, pour que, définitivement, tu daignes baisser les yeux."

 

Maladresse? Au contraire: au-delà de la vigueur du trait, il y a une finesse dans le rendu de ce sentiment de colère qui peut mobiliser tout un homme, rendu incapable d'exprimer quoi que ce soit d'autre par une société qui condamne encore, moralement, les larmes ou la peur chez l'homme. Pas de maladresse non plus dans le style qui, flirtant régulièrement avec l'outrance, n'y verse jamais - de sorte que jamais, on ne trouvera ridicule ou "deuxième degré" ce père qui s'exprime, qui se lâche, sans détour.

  

Bruno Gibert, Avec enfant, Paris, Stock. 2009.

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
<br /> ET oui... pour Pieter Aspe, c'est trop tard.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> Snif!<br /> Ce sera pour une autre fois... :-)<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Tout à fait je crois que la "maladresse" peut correspondre à ce décalage entre la fille et le père qui correspond au choc de deux générations. Tu en parles très bien.<br /> <br /> <br />
D
<br /> <br /> C'est peut-être cela: une manière de dire...<br /> <br /> <br /> <br />

Présentation

  • : Le blog de Daniel Fattore
  • : Notes de lectures, notes de musique, notes sur l'air du temps qui passe. Bienvenue.
  • Contact

Les lectures maison

Pour commander mon recueil de nouvelles "Le Noeud de l'intrigue", cliquer sur la couverture ci-dessous:

partage photo gratuit

Pour commander mon mémoire de mastère en administration publique "Minorités linguistiques, où êtes-vous?", cliquer ici.

 

Recherche

 

 

"Parler avec exigence, c'est offrir à l'autre le meilleur de ce que peut un esprit."
Marc BONNANT.

 

 

"Nous devons être des indignés linguistiques!"
Abdou DIOUF.