Deux enseignants s'aiment d'amour charnel et voyagent sans relâche, jusqu'à l'inévitable rupture: tel est le propos du roman largement érotique "Béa de Capri à Carnon", écrit par Paul Villach et publié aux éditions Lacour-Ollé. L'auteur opte pour une prose fluide, concrète et souvent directe, narrative sans artifice ni métaphores faussement archaïques. Volontiers factuel, le ton paraît être celui d'une autobiographie, et le lecteur peut s'imaginer que l'auteur a puisé un peu d'inspiration dans son existence; mais il s'agit bien d'un roman (cela est précisé en début d'ouvrage), et c'est ainsi qu'il convient de considérer "Béa de Capri à Carnon".
Forces et limites d'une approche de l'érotisme
Contrairement à ce que dit la chanson, c'est à Capri que tout commence ici: effleurements réels ou rêvés, danse, rapprochement, avant d'arriver à la première scène d'amour physique entre les deux personnages. Le choix de la simplicité narrative, de la part de l'auteur, n'exclut pas la tentation du lyrisme, de l'image et de la métaphore. Il présente toutefois une ou deux limites: une certaine répétitivité, ou une qualité inégale des images ("l'as de coeur renversé de ses fesses dodues" (p. 99), mais aussi "ses seins pommes"), que l'on retrouve du reste d'une page à l'autre, comme si, à force, elles devenaient rituelles entre les amants: les "seins pommes" de Béa, la "queue" du narrateur que Béa "mendie".
Si le rythme de son récit est globalement constant (pas de ralenti suggestif avant les scènes les plus explicites), l'auteur sait jouer avec les sens, associer la jouissance sexuelle aux plaisirs de la table (que de repas partagés dans une Italie de carte postale (Venise, Rome, Florence) où les mots italiens et allemands résonnent les uns après les autres, parfois dans une graphie approximative), aux parfums et aux bruits (un peu de musique venant de loin au moment de l'amour). Mais c'est l'aspect visuel qui domine: aux pages descriptives, vient s'ajouter le rituel des photographies, qui permettent au narrateur de raconter des histoires. A noter aussi, le goût des tableaux des maîtres anciens, dont certains sont reproduits dans le livre. Cela peut laisser une impression de voyeurisme; mais n'est-ce pas l'un des ressorts du roman érotique en général?
"Avec l'érotisme pour seule oasis où goûter de courts moments d'éternité", peut-on lire en début de roman. Eternité ou courts moments? Le récit démontre qu'en la matière, l'éternité n'aura duré qu'une douzaine d'années, de Capri à Carnon - où se joue la scène de rupture finale, où Béa se montre très directe dès lors qu'elle refuse de jouer plus longtemps la comédie des amours. Ainsi, alors que les personnages principaux échangent peu de mots et beaucoup de caresses (les dialogues sont parcimonieux), se pose une question classique: une histoire d'amour fondée uniquement sur les rapports des sens, définie uniquement par la sexualité et se plaçant dans le cadre de voyages de villégiature donc hors du réel, peut-elle durer?
Un narrateur trouble
Cette question amène celle du jeu trouble du narrateur - un personnage anonyme, soit dit en passant. Il se présente comme un amant sincère. Question, cependant: macho ou jouisseur? Par-delà la modestie du choix de l'anonymat, le narrateur agit comme s'il voulait placer Béa sous son seul contrôle. On le constate aisément dans la troisième partie du récit, en forme de retour au réel. Entre démonstrations de force et tentatives de prise de contrôle, il est permis de considérer le narrateur comme un macho, à savoir un homme qui se croit (plus ou moins consciemment) supérieur à la femme.
Reste qu'en tant qu'homme accompli, le narrateur peine à s'assumer pleinement: il plaque sa famille... avant de se retrouver largué à son tour, Béa lui préférant une compagne - le narrateur ne dira rien de la nature de cette relation. Plus qu'un macho qui s'assumerait, je vois plutôt ici un jouisseur, de surcroît rongé par les préjugés envers une catégorie sociale qui n'est pas la sienne et qu'il répugne à comprendre vraiment (préférant les jugements à l'emporte-pièce, à l'exemple du respect de l'uniforme clinquant qu'il prête à la mère de Béa ou d'une vision systématiquement peu flatteuse des profs de sport), dans le personnage du narrateur.
L'intérêt de la troisième partie
La troisième partie quitte le registre érotique pour aborder d'autres rivages autrement intéressants, car ancrés dans le réel et révélateurs de ce que sont les âmes humaines lorsqu'elles se confrontent et s'affrontent. Les brouilles naissent entre la famille de Béa et le narrateur, qui a beau jeu de prétendre avoir raison contre tous. Il le fait également dans le contexte professionnel, agitant comme un étendard l'idée de solidarité pour aider Béa à échapper à des échanges scolaires qu'elle rechigne à organiser. De la part de l'amant, fallait-il le faire? Ou aurait-il été préférable de laisser Béa vivre sa vie en s'accommodant de ce qu'elle refuse? Le narrateur se présente ici comme le secouriste incompris, agissant face à une Education nationale présentée comme un Léviathan qui ne s'embarrasse pas de bases légales pour s'imposer à son personnel.
Etrange roman, donc, sous des dehors volontiers festifs! Il se termine sur une phrase au goût inattendu, mais qui constitue un jeu de mots sympathique comme ultime pirouette: "Tout ce que je sais, c'est qu'elle était fête pour moi." Fête pour le lecteur? Peut-être, mais surtout réflexion sur la vie, l'amour, les humaines faiblesses, l'Education nationale...
Paul Villach, Béa de Capri à Carnon, Nîmes, Lacour-Ollé, 2009.
Le site de l'éditeur: http://www.editions-lacour.com. Merci à Paul Villach pour l'envoi de ce roman!