Avec "Kitsune", l'écrivain suisse Amélie Ardiot offre un premier roman qui la positionne d'emblée comme une artiste du genre fantastique. Paru en septembre 2007, ce roman a été
sélectionné pour le Prix des Lecteurs de la RSR l'année suivante. Pas mal! Il faut dire que ce roman, s'il est bref, est dense et se balance, de bout en bout, sur la corde raide de l'incertitude
qui caractérise le fantastique.
Amitiés et complémentarités
De quoi s'agit-il ici? L'auteur met en scène Christophe, Vaudois bien suisse,
biologiste de son état, qui vit à Lausanne et est ami, à la vie à la mort, avec Hugo, un Ecossais, également biologiste. L'amitié est certes fondée sur une cuite prise ensemble (et décrite dès le
début du roman - un début nourri de mots anglais pour évoquer l'Ecosse, anglicité qui s'estompe par la suite - ouf!); mais surtout, elle repose sur des complémentarités. Le Lausannois est ainsi
présenté comme quelqu'un de réaliste, de pragmatique, de terre-à-terre même, peu attiré par les manifestations culturelles auxquelles Madeleine cherche un peu trop souvent à l'emmener. Le côté
terre-à-terre du personnage est encore souligné par le fait qu'il est un spécialiste renommé des musaraignes. Cela s'oppose à la spécialité de l'Ecossais: les chauves-souris.
Et c'est là qu'on bascule dans l'imaginaire. La musaraigne ne fait rêver personne (la Suisse non plus, d'ailleurs), au contraire de la chauve-souris, animal nocturne méconnu qui éveille tout de
suite des images inquiétantes, de vampires par exemple - ce que l'auteur ne manque pas de relever. Etudiées par un Ecossais... donc un familier des manoirs hantés! De cela, Hugo parvient
encore à rire.
Le Japon s'invite
Bon, jusqu'ici, ça va: les bases sont en place. L'auteur balance à présent une femme
dans l'histoire. Elle s'appelle Ai, elle est Japonaise, elle a les yeux verts et est d'une beauté envoûtante. Hugo l'épouse... et du coup, il n'est plus le même - pour être précis, ce bon
vivant plein de projets semble mentalement exsangue quand Christophe vient le trouver en Ecosse, quelque temps après la fin de leurs études respectives. Signe particulier d'Ai? Entre elle et son
beau-père, le courant ne passe pas. Et pour cause: il chasse le renard...
... "renard", ou "kitsune" en japonais. L'animal semble avoir, au Pays du Soleil Levant, un côté fantastique. C'est ce que découvre Christophe, après sa balade en écosse, à l'occasion d'une
représentation théâtrale au Théâtre de Vidy. Un personnage lui raconte en effet l'affaire de ces sortes de "renards-garous" féminins envoûtants qui parasitent l'homme. Christophe en a-t-il aussi
été victime?
Naturellement, l'auteur ne balance pas cette affirmation comme si c'était une parole d'Evangile. Bien plutôt, c'est le metteur en scène de la pièce vue qui le lui explique. Lui faire confiance?
Cette histoire de renards envoûteurs est-elle réelle? Christophe peut aussi se demander si les regards changeants du renard empaillé qui se trouve chez Hugo sont davantage qu'un simple effet de
son imagination. Et jusqu'à la fin, ouverte, le doute persistera: le lecteur peut soit croire le conteur et considérer que les renards montrés en fin de récit sont des mutants... soit considérer
que les émotions suscitées par Ai sont, ni plus ni moins, l'effet de l'éternel féminin sur l'homme.
Amélie Ardiot, Kitsune, Genève, Encre Fraîche, 2007.