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21 juillet 2009 2 21 /07 /juillet /2009 20:17

Il faut bien donner un cadre à un roman, fût-il de chick lit; c'est ce que l'écrivain américaine Lynn Messina n'a pas manqué de faire avec "Héritière malgré moi", paru dans la collection Red Dress Ink, c'est-à-dire chez... Harlequin - une maison d'édition boudée par la blogosphère des livres, allez savoir pourquoi... Et comme quelques paillettes ne peuvent pas faire de mal, c'est dans le monde du design new-yorkais que les tribulations de Tallulah West, jeune créatrice de 29 ans au caractère quelque peu timoré, se déroulent.

Héritière, donc... la traduction du titre n'est pas très heureuse, puisque l'épisode de l'héritage est finalement assez bref dans ce récit, même s'il est lourd de conséquences - et que Tallulah, la narratrice, se trouve fort aise de revendre cet héritage (un terrain en Caroline du Nord) à prix d'or. Le titre original, "Tallulahland", était plus pertinent, puisqu'il évoquait à la fois ce terrain, présenté comme une terre promise où même les sentiments sont exacerbés, et la petite entreprise de design que l'héritière West met sur pied dans la troisième partie de ce roman. Tout cela vous guide une lecture...

... et puisqu'on parle de traductions, les romans publiés par Harlequin sont souvent plus courts en versions traduites qu'en version originale (anglais, toujours - primo-romanciers francophones, passez votre chemin!). La consigne est en effet d'écarter de la version publiée toutes les allusions trop pointues à la vie américaine, ainsi que les gags et traits d'esprit impossibles à rendre.

Cela conditionne le texte proposé au public francophone: le début semble peiner à décoller, comme si l'on avait éliminé quelques détails de trop (y compris les noms de célébrités - pas de name dropping, ou si peu). Originalité: pour une fois, le roman commence par un mariage, celui du père de Tallulah, designer richissime et respecté dans sa branche. Quelques péripéties surviennent, bien sûr, à l'instar du discours improvisé que la fille du "jeune" marié doit prononcer; mais on ne trouve pas d'emblée le pétillement que le lecteur peut percevoir, par exemple, dans le début tourbillonnant de "
Le Diable s'habille en Prada".

Il y a naturellement un homme dans toute cette histoire, et il s'appelle Nick. Tallulah l'aime-t-elle? "C'est compliqué", comme dit le fameux statut de Facebook. Officiellement, ce n'est que de l'amitié, les choses sont claires et la narratrice ne manque pas de le rappeler. Mais un roman publié par Harlequin ne serait pas tout à fait fidèle à lui-même s'il n'y avait pas un petit parfum de romance... et c'est dans la seconde partie du roman, bucolique à souhait (elle aboutit sur un terrain vierge où poussent les herbes folles), que l'auteur fait donner les violons, s'excusant parfois d'user de clichés pour mieux y recourir: battements de coeur, embrassades, vie sauvage à deux, rêve de cabane en rondins, etc. L'ellipse permet par ailleurs à l'auteur de tout laisser deviner sans rien expliciter...

... et après? L'affaire suit son cours, sur un ton finalement léger, un rien spirituel à défaut d'être toujours franchement hilarant, maniant le deuxième degré avec modération. Les péripéties sont dopées par la présence de Hannah, personnage tourbillonnant et mythomane, actrice autoproclamée de cinéma - l'élément pittoresque du récit, tout à fait capable de jouer les fous du roi au besoin, révélant la narratrice à elle-même en usant de franc-parler, usant et abusant d'une bonté un peu lourde. Le final, cependant, laisse le lecteur un peu sur sa faim: le roman se termine sur une affaire de plagiat de design dans laquelle Tallulah est la victime désignée; le père prend fugacement la défense de sa fille, ce qui est rare - mais on ignore si ça va se confirmer; et, enfin, l'idylle entre Nick et Tallulah reste un peu en rade. Cela, sans compter une sorte de contradiction: en fin de récit, Tallulah se dit toujours propriétaire terrienne (sa phrase à elle!), alors qu'elle a vendu son terrain à une riveraine pour le prix de 90000 dollars.

Alors, bilan? Une fois de plus, inutile de bouder son plaisir: ce petit livre recèle de bonnes pages qui sont parfaites pour l'été. Mais on a quand même envie de demander "la suite" à l'auteur.

Lynn Messina, Héritière malgré moi, Red Dress Ink, 2008.

Texte rédigé dans le cadre du challenge "Chick Litt For Men", organisé par
Calepin.
Le site de l'auteur:
http://www.lynnmessina.com/

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commentaires

H
I do love reading comic very much as comic have the magical power to convey message through a simple manner. The difference between the two comics that’s of the past and the present is deeply seen in your blog
L
Dis-donc, les commentaires sont presques aussi riches à lire q ton (je me permets le tutoiement après quelques échanges de com';o)) analyse!<br /> En vrac: J'ai lu récemment "orgueil et préjugés" et je me suis exclamée "mais voici le premier roman chick lit'"!<br /> Je n'ai pas lu de romans "red dress ink", c vrai que la <br /> mention "harlequin" est écrit en tout petit et que je me suis faite avoir en en feuilletant un. Pourquoi pas! A-bas les préjugés. Tu sembles fort bien renseigné sur le circuit du livre, tu travailles dedans?<br /> Enfin, je relève le défi proposé aisément: je suis chick'addict mais addict de la littérature en générale: l'un n'empêche pas l'autre. A-bas les préjugés...<br /> Merci pour ces analyses.
D
<br /> <br /> ... ça discute, en effet! Et c'est fort réjouissant!<br /> La chick lit me semble se fonder sur des mécanismes humains immémoriaux: recherche du Prince charmant, mais aussi recherche de sa place dans la société, difficulté de certains rapports humains,<br /> équilibres à trouver, gaffes (Bridget Jones n'a rien inventé), pugnacité (la stagiaire de "Le Diable s'habille en Prada" non plus! Ni la Tallulah de "Héritère malgré moi", qui monte sa boîte à la<br /> force du poignet, réalisant le rêve américain dans ce qu'il a de plus brut), etc.<br /> A bas les préjugés, en effet, pourvu que l'histoire soit bonne! Et les "Red Dress Ink" sont de véritables chick lit, plus proches de Bridget Jones que de Barbara Cartland. Tente le coup!<br /> Je ne suis pas actif dans le circuit du livre, hélas... je suis simplement traducteur pour le compte des Chemins de fer fédéraux suisses, à Berne. Et toi-même?  <br /> <br /> <br /> <br />
L
Daniel, tu me fais trop rire et tu m'impressionnes : tu es un des plus cultivé et passionnnant de mes copains de blog et tu craques pour les Chick litt et Harlequin, en réussissant à chaque fois à pondre un billet super... Bravo, et continues, on en redemande !
D
<br /> Ouilla... je sens mes chevilles qui gonflent! J'ai aussi grand plaisir à lire tes propres billets! Enchanté, cela dit, d'avoir pu faire naître quelques sourires chez toi...<br /> <br /> Pour ce qui est de continuer, ben je ne lâche pas le morceau! Au menu de ces prochaines semaines, il y aura du suisse, de la rentrée littéraire, de la chick lit, des fonds de PAL...<br /> <br /> ... et la chick lit n'est pas le truc le plus stérile à commenter, au contraire! <br /> <br /> <br />
J
Que de pression, que de pression, Daniel !<br /> Je n'ai même pas commencé le mien...<br /> Est-ce que "Orgueil et préjugés" cela compte pour de la chick litt ??<br /> Oups, je vais me faire lyncher moi...
D
<br /> Je te propose un défi vache: démontrer que "Orgueil et préjugés" est de la chick lit...<br /> Plus sérieusement, je te souhaite une bonne lecture! J'ai l'impression que la chick lit et les Harlequin ont le vent en poupe ces temps-ci dans la blogosphère.<br /> <br /> <br />
T
Voici une critique qui donne presque envie de lire ce roman. Mais bon, je ne suis pas fan de chick lit et déjà engagé dans les Harlequinades justement, alors on ne va pas pousser -)<br /> <br /> par contre j'ai une question, un truc que je ne comprends pas. Est-ce que c'est clairement précisé que ce livre est édité par Harlequin ? ou alors juste en tout petit à l'intérieur ?<br /> Cette maison d'édition me surprend de plus en plus.
D
<br /> Ouilla... donnerais-je envie de lire?  <br /> Ce titre pourrait convenir pour les Harlequinades 2009. Cela dit, la mention de l'éditeur Harlequin apparaît en petit, à l'intérieur du livre, et pas du tout sur la couverture - Harlequin vise<br /> ainsi à diversifier son lectorat en s'adressant à celles (et ceux?) que le nom de Harlequin fait fuir. Le style de couverture est aussi différent, d'ailleurs.<br /> <br /> <br />

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