Il faut bien donner un cadre à un roman, fût-il de chick lit; c'est ce que l'écrivain américaine Lynn Messina n'a pas manqué de faire avec "Héritière malgré moi", paru dans la
collection Red Dress Ink, c'est-à-dire chez... Harlequin - une maison d'édition boudée par la blogosphère des livres, allez savoir pourquoi... Et comme quelques paillettes ne peuvent pas faire de
mal, c'est dans le monde du design new-yorkais que les tribulations de Tallulah West, jeune créatrice de 29 ans au caractère quelque peu timoré, se déroulent.
Héritière, donc... la traduction du titre n'est pas très heureuse, puisque l'épisode de l'héritage est finalement assez bref dans ce récit, même s'il est lourd de conséquences - et que Tallulah,
la narratrice, se trouve fort aise de revendre cet héritage (un terrain en Caroline du Nord) à prix d'or. Le titre original, "Tallulahland", était plus pertinent, puisqu'il évoquait à la
fois ce terrain, présenté comme une terre promise où même les sentiments sont exacerbés, et la petite entreprise de design que l'héritière West met sur pied dans la troisième partie de ce roman.
Tout cela vous guide une lecture...
... et puisqu'on parle de traductions, les romans publiés par Harlequin sont souvent plus courts en versions traduites qu'en version originale (anglais, toujours - primo-romanciers francophones,
passez votre chemin!). La consigne est en effet d'écarter de la version publiée toutes les allusions trop pointues à la vie américaine, ainsi que les gags et traits d'esprit impossibles à
rendre.
Cela conditionne le texte proposé au public francophone: le début semble peiner à décoller, comme si l'on avait éliminé quelques détails de trop (y compris les noms
de célébrités - pas de name dropping, ou si
peu). Originalité: pour une fois, le roman commence par un mariage, celui du père de Tallulah, designer richissime et respecté dans sa branche. Quelques péripéties surviennent, bien
sûr, à l'instar du discours improvisé que la fille du "jeune" marié doit prononcer; mais on ne trouve pas d'emblée le pétillement que le lecteur peut percevoir, par exemple, dans le début
tourbillonnant de "Le Diable s'habille en Prada".
Il y a naturellement un homme dans toute cette histoire, et il s'appelle Nick. Tallulah l'aime-t-elle?
"C'est compliqué", comme dit le fameux statut de Facebook. Officiellement, ce n'est que de l'amitié, les choses sont claires et la narratrice ne manque pas de le rappeler. Mais un roman
publié par Harlequin ne serait pas tout à fait fidèle à lui-même s'il n'y avait pas un petit parfum de romance... et c'est dans la seconde partie du roman, bucolique à souhait (elle aboutit sur
un terrain vierge où poussent les herbes folles), que l'auteur fait donner les violons, s'excusant parfois d'user de clichés pour mieux y recourir: battements de coeur, embrassades, vie sauvage à
deux, rêve de cabane en rondins, etc. L'ellipse permet par ailleurs à l'auteur de tout laisser deviner sans rien expliciter...
... et après? L'affaire suit son cours, sur un ton finalement léger, un rien spirituel à défaut d'être toujours franchement hilarant, maniant le deuxième degré avec modération. Les
péripéties sont dopées par la présence de Hannah, personnage tourbillonnant et mythomane, actrice autoproclamée de cinéma - l'élément pittoresque du récit, tout à fait capable de jouer les fous
du roi au besoin, révélant la narratrice à elle-même en usant de franc-parler, usant et abusant d'une bonté un peu lourde. Le final, cependant, laisse le lecteur un peu sur sa faim: le roman se
termine sur une affaire de plagiat de design dans laquelle Tallulah est la victime désignée; le père prend fugacement la défense de sa fille, ce qui est rare - mais on ignore si ça va se
confirmer; et, enfin, l'idylle entre Nick et Tallulah reste un peu en rade. Cela, sans compter une sorte de contradiction: en fin de récit, Tallulah se dit toujours propriétaire terrienne (sa
phrase à elle!), alors qu'elle a vendu son terrain à une riveraine pour le prix de 90000 dollars.
Alors, bilan? Une fois de plus, inutile de bouder son plaisir: ce petit livre recèle de bonnes pages qui sont parfaites pour l'été. Mais on a quand même envie de demander "la suite" à
l'auteur.
Lynn Messina, Héritière malgré moi, Red Dress Ink, 2008.
Texte rédigé dans le cadre du challenge "Chick Litt For Men", organisé par Calepin.
Le site de l'auteur: http://www.lynnmessina.com/