Plus qu'une analyse politique, le présent papier recélera quelques considérations d'un "enfant de la zone grise", ou plus précisément d'un ressortissant d'un pays qui vient
d'être placé sur la célèbre liste grise du G20. Que les sarkozystes, steinbrückistes, montebourgistes et obamistes qui visitent ce blog me pardonnent quelques coups de
gueule.
"Entre gris clair et gris foncé", titrait naguère un chanteur français qui m'abomine. Mais l'intitulé de cet album me paraît particulièrement adapté comme attaque de ce
papier: c'est en effet dans cette zone (liste gris clair!) que se trouve à présent la Suisse, à en croire le résultat des pourparlers du G20 - groupe des 20 pays les plus industrialisés de
la planète, et autoproclamés plus puissants du monde.
Pour rappel, à l'issue de leur sommet, les pays du G20 ont publié trois ou quatre listes de pays, classés en "noir", "blanc" et "gris" en fonction de leur adéquation aux normes de
l'OCDE et de leur volonté de collaborer en matière fiscale. Les pays figurant sur la liste grise sont ceux qui ont accepté d'adopter les règles de l'OCDE en matière de secret bancaire, mais
n'ont pas encore concrétisé cette intention: de prétendus paradis fiscaux en passe de ne plus l'être. La Suisse, paradis fiscal? Contribuable régulier dans ce pays, je peux vous garantir que
cela n'a rien de vrai: chaque année, je débourse environ la moitié du revenu annuel d'un smicard français sous forme d'impôts directs. Johnny Halliday, exilé célèbre, contribue à hauteur de
607000 euros par an. Cela, on le mettra volontiers en regard des Monégasques, qui n'ont pas d'impôt sur le revenu dans leur pays. La seule économie que je pourrais faire, en qualité
d'employé, après les rituelles et toujours médiocres déductions? Une sortie d'église. mais je suis trop conscient des enjeux de l'impôt paroissial pour ce faire...
Mais qui dit liste grise, dit aussi listes noire et blanche. La liste noire contient trois pays qu'on a assez peu vus dans ce rôle, tels les Philippines, le Costa Rica ou la Malaisie
(l'Uruguay vient d'en sortir). La liste blanche est en revanche beaucoup plus instructive. Rappel: le G20 est un groupe constitué des vingt pays les plus industrialisés de la planète -des Etats
qu'on suppose puissants. Or, au moins seize de ces pays (sur 20) sont sur cette liste qui les innocente. Des noms? Les Etats-Unis (dont l'Etat du Delaware constitue en réalité un paradis fiscal),
la Chine (Macao et Hong Kong bénéficient d'un statut fiscal fort intéressant), la France (la collectivité d'outre-mer de Saint-Barthélémy est largement défiscalisée pour des raisons historiques),
l'Angleterre (dont la City est une véritable boîte noire - il paraît que Jersey et Guernesey ont signé des accords de coopération fiscale... donc on les retrouve aussi sur la liste blanche!),
ainsi que quelques pays dont on connaît moins le mode de taxation (Arabie Saoudite, entre autres). Bref, au vu de ce qui a paru dans la presse ces derniers jours à ce sujet, j'ai
l'impression que le sommet de Londres est, plus qu'une réunion de pays désireux de régler certains problèmes, un tribunal des vainqueurs désireux de stigmatiser
certains Etats à la faveur d'une crise... d'après des critères manifestement
discutables.
On a relevé le goût du compromis dont Obama a fait preuve... doit-on comprendre ici qu'une de ses premières actions internationales d'envergure a été de fédérer une poignées de puissances contre
un certain nombre de pays un peu isolés diplomatiquement, disposant de peu d'arguments de force et cherchant à faire au mieux avec ce qu'ils ont? Peut-être est-ce un procès d'intention;
mais je subodore que la nouvelle administration américaine aura trouvé plus facile de faire porter le chapeau de la crise aux Etats des listes grises et noire que d'assumer les erreurs
survenues sous George W. Bush et Alan Greenspan. Facile.
Quant au Président de tous les Français, on l'a vu reprendre le discours anti-Suisse du Saint-Just de la gauche française, j'ai nommé Arnaud Montebourg, et donner des leçons de manière odieuse
à un pays ami. "Le président français Nicolas Sarkozy a ainsi clairement affirmé jeudi que la Suisse finirait sur la liste noire si elle ne bouge pas", cite par exemple le journal
lausannois "24 heures". Merci, M'sieur. Je vous ferai suivre ma feuille d'impôts, en vous demandant d'en honorer les mensualités. Si d'autres veulent faire de même... Je tiens à dire que
jusqu'à présent, je n'avais pas grand-chose à reprocher à Nicolas Sarkozy et à sa manière de présider; mais sur ce coup-là, il a perdu des plumes dans mon estime. Jusqu'à présent, je
considérais qu'il était facile, voire obsessionnel chez certains, de le flinguer dès qu'il ouvrait la bouche; à présent, je serai plus attentif.
Mais s'il n'y avait que lui! En Allemagne aussi, on s'agite - l'objectif étant d'obtenir un échange automatique d'informations, au besoin en bafouant la présomption d'innocence et le droit à la
sphère privée. Peer Steinbrück a ainsi trouvé une nouvelle cible pour ses attaques: la Suisse, pays d'Indiens attaqués par la cavalerie. Je passerai sur les insultes à relents "heures sombres"
que cela lui a valu, mais ne manquerai pas de rappeler son attitude condescendante vis-à-vis de son voisin du sud, dont le Conseil fédéral s'est ému à juste titre. Les observateurs les plus fins
savent que Peer Steinbrück est à présent en campagne électorale... et qu'il n'a pas tout à fait atteint ses objectifs de minstre des finances. Alors hop-là: un bon coup sur la tête de ce voisin
pépère qui, en plus, lui pique ses meilleurs spécialistes- ça évite de se remettre en question.
Tout ça pour dire que le G20, je n'ai rien contre... mais à un moment donné, il faut arrêter de se prendre pour les maîtres du monde afin d'en fixer les règles et de les imposer aux autres.
Chaque pays définit sa fiscalité comme il l'entend, et les personnes sous le coup d'une enquête sont quand même présumées innocentes jusqu'au moment où le jugement est rendu par le
tribunal! J'espère que la Suisse saura réagir ce coup-ci, mieux que lors des attaques dont elle a été victime, par exemple, dans les années 1998... Il y aura du changement, mais ce n'est pas
à mon pays de payer pour d'autres, moins habiles à gérer leurs finances quand ils ne sont pas endettés jusqu'au cou. Pour lire l'actualité à venir, qu'on se souvienne que le principe du
secret bancaire est ancré dans les accords bilatéraux passés entre la Suisse et les 27 pays de l'Union européenne. Les renégociations de ceux-ci, ces prochaines années, risquent d'être
jouissives.
Ceux qui s'intéressent aux paradis fiscaux et souhaitent se
faire une opinion nuancée à leur sujet se référeront avec profit à deux ouvrages:
Laurent Leservoisier, Les paradis fiscaux, Paris, PUF - Que sais-je, 1992.
Thierry Godefroy et Pierre Lascoumes, Le capitalisme clandestin - L'illusoire régulation des places offshore, Paris, La Découverte, 2004.
Sur la crise:
Myret Zaki, UBS,
les dessous d'un scandale, Lausanne, Favre, 2008.
Sur les accords bilatéraux: http://www.europa.admin.ch/themen/00500/index.html?lang=fr
Photo: Flickr/Roby72