L'image du Playmobil est sacrée, et Geobra est le gardien du temple: telle est l'impression que l'on garde au sujet de l'actualité ces
jours-ci. Loin du G20 et des déclarations papales, en effet, l'entreprise qui produit les célèbres figurines en plastique fait valoir ses droits à l'image. Qui est le terrifiant moloch qui ose
ainsi s'y attaquer? Un simple pasteur allemand dénommé Markus Bomhard, actif à Steinbach (Hesse, Allemagne), qui a décidé de bricoler ses Playmobils à lui afin d'en faire des figures
bibliques. Adam et Eve, mais aussi Jésus et d'autres personnages endossent ainsi l'air rigide et amical de ces petits personnages; ceux-ci sont également utilisés par le pasteur en question
pour recréer des situations typiques de la vie en Eglise: mariages, messe des enfants, etc. Le pasteur fait même appel à la générosité de ses fans et paroissiens, en leur demandant de lui envoyer
les Playmobils dont ils n'ont plus l'usage: il s'occupera de les bricoler afin qu'ils prennent, si j'ose dire, figure biblique.
Et là, hop: Geobra se précipite pour déclarer qu'une telle approche constitue une atteinte à la propriété, et fixe au pasteur un ultimatum: il a jusqu'au 6 avril pour "mettre fin à ses
pratiques", pour reprendre les mots du Figaro. Cela a le goût d'une colère divine! A la décharge de l'entreprise, il convient d'ajouter que le pasteur Bomhard a publié sur Internet des photos de
ses bonshommes, dûment maquillés. Il est également permis de douter du bon goût de l'opération (d'autres, à Berlin, ont fait pareil avec des Lego). Concurrence déloyale, enfin? Geobra a en
effet produit une arche de Noé Playmobil, présentée comme un chouette cadeau. Mais contrairement à cette dernière, les figurines du pasteur Bomhard ne sont pas à vendre...
Mais on pourrait aussi rétorquer à Geobra que c'est pour la bonne cause; plus prosaïquement, il conviendrait de se demander quel est le préjudice réel subi par l'entreprise: je doute que des
athées militants renoncent à acheter des Playmobils à leurs enfants parce qu'un pasteur s'amuse à les déguiser en personnages bibliques! Le pasteur, justement, invoque les intérêts de l'art et de
la religion, pour la plus grande joie de Dieu et des hommes - une joie à laquelle je cède volontiers! Les scènes recréées n'ont par ailleurs rien de vicieux; on pourrait même dire, d'un
certain point de vue, qu'elles sont accessibles à tous les publics, y compris les enfants - public cible des Playmobils. Des commentateurs, anciens usagers de Playmobils, se retrouvent même dans
ce langage, ce qui démontre que l'approche a quelque chose de pertinent et touche sa cible.
Bref, à mon avis, la "sainte colère" de Geobra me semble disproportionnée. Notons qu'en toute cette affaire, les autorités religieuses réformées (et autres) font montre d'un silence
éloquent: les voies de la foi sont impénétrables, et si un croyant le devient après avoir vu un Playmobil maquillé en Christ, eh bien... pourquoi pas, en tout cas du point de vue de l'Eglise?
Reste que la "sainte colère" précitée
n'est pas isolée, Geobra semblant fort jaloux de ses petits bonshommes souriants au regard fixe. L'écrivain Nicolas Ancion en a fait les frais: certes, Geobra lui a concédé la
conservation du titre de son recueil de nouvelles "Nous sommes tous des Playmobiles", dont il a été question sur ce blog, ici. Mais la couverture de la première
édition de l'ouvrage a dû être changée lors des retirages. J'imagine que l'édition princeps est actuellement un collector que les bibliophiles s'arrachent...
Le Playmobil a cependant fait la une d'un
autre ouvrage, autrement sérieux. Il s'agit du livre théorique "Un langage pour l'organisation", publié par Jean-Loup Chappelet et Jean-Jacques Snella aux Presses polytechniques et universitaires
romandes. Région périphérique au coeur d'un petit pays, la Suisse romande serait-elle épargnée par les foudres de Geobra? Reste qu'on voit apparaître ici quatre Playmobils déguisés en
fonctionnaires et s'exprimant à coups de symboles de management. Si je me souviens bien, l'ouvrage utilise même ces personnages pour illustrer son propos. Sans doute les auteurs se sont-ils
entendus au préalable avec Geobra; peut-être même que le fabricant utilise la méthode Ossad pour décrire ses processus internes...
... reste que cela pose la question de la réappropriation de créations de l'esprit particulièrement populaires par les utilisateurs. Vu la célébrité des Playmobils, ceux-ci ne sont-ils pas,
quelque part, propriété de leur public autant que de l'entreprise qui les fabrique et les conçoit? Dans la même veine, un certain Harald Schmidt aurait recréé la mythologie grecque à partir de
Playmobils! Il serait intéressant de savoir ce que dit la jurisprudence au sujet des "objets cultes", et si elle penche du côté de la rigueur (auquel cas pas mal de monde pourrait être
inquiété) ou de la souplesse, passé un certain degré de notoriété.
Pour vous faire une idée: http://www.klicky-bibel.de
L'article du Figaro (dépêche de l'AFP), qui résume bien l'affaire: http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2009/03/31/01011-20090331FILWWW00460-playmobil-en-colere-contre-un-pasteur.php
Photos: un peu partout: un Christ signé Bomhard; la couverture de la première édition du livre de Nicolas Ancion; celle de la méthode
Ossad.