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14 mars 2009 6 14 /03 /mars /2009 20:24

L'espace d'un billet, je reviens sur ma réflexion d'hier, relative aux pratiques peu orthodoxes que l'Union européenne risque d'admettre bientôt. Je vais m'efforcer d'approcher la chose d'un point de vue du marketing, en essayant de démontrer qu'en matière de vins, l'orientation produit rejoint bien souvent l'orientation client, du moins dans une certaine mesure.

Car qu'est-ce que l'orientation produit? C'est l'attitude qui consiste à bien faire son travail, sans trop se soucier de ce qu'en pensera le client, en supposant que celui-ci considérera que le produit fini sera irréprochable, donc forcément à son goût. L'exemple type serait celui du traducteur qui soigne le français de sa version, quitte à faire trop long ou trop court - le client pourrait le lui reprocher, mais n'aurait rien à redire sur la qualité linguistique et terminologique du texte proprement dit. Autre exemple? Telle administration vous demande des tonnes de papiers pour obtenir quelque chose d'elle, par exemple un visa. Si vous entrez dans son jeu, vous serez couvert et elle aussi, et vous aurez votre visa; mais quel calvaire pour rassembler toute la paperasse! En matière de vins, on retrouve cette approche chez les producteurs de terroir d'Europe - je pense à la Suisse ou à la France. On se retrouve avec des vignes taillées avec amour, des raisins coupés à la main parce que ça ménage les plants, le respect des règles de l'art dans l'élevage du vin, des produits qui peuvent attendre des années avant d'être consommés. Quoi de moins orienté client que de dire au consommateur, alors qu'il veut tout tout de suite: "Votre Bordeaux est bon, mais il sera meilleur encore si vous attendez encore vingt ans!"? Cela, sans oublier la légitime fierté du spécialiste qu'est le vigneron-encaveur.

A cette approche s'oppose l'orientation client, qui consiste, comme son nom l'indique, à aller au-devant des attentes de la clientèle. Dans une administration, cela peut signifier la simplification de démarches inutilement fastidieuses ou des structures d'accueil confortables; dans n'importe quelle entreprise privée, au risque de me répéter, cela implique de répondre aux attentes du client - tout le contraire d'un Henry Ford qui voulait à tout prix refiler des voitures noires à ses clients, même s'ils préféraient des rouges! Côté vins, telle est l'approche privilégiée par les vins dits "technologiques", où la technologie se met justement au service d'un goût supposé attendu par l'acheteur/consommateur potentiel. Des moyens? Je pense avant tout à l'utilisation d'un nombre restreint de cépages mondialisés (Syrah, Merlot, Cabernet en rouge, Chardonnay en blanc), à des méthodes de vinification jonglant avec les températures pour faire ressortir certaines caractéristiques de ces cépages plutôt que d'autres, etc. Loin de moi l'idée de critiquer le produit: il est souvent séduisant, "facile à boire" comme on dit. On peut aussi songer à des méthodes plus sulfureuses telles que l'utilisation de copeaux pour donner au vin le goût boisé qui a été à la mode il y a quelques années. Là, ce n'est plus le terroir qui prime; ce qu'on met en avant, c'est l'entreprise productrice (dont le logo figure en grand et l'adresse en petit sur les bouteilles; du reste, personne ne sait où ça se trouve...) et le cépage.

Cette dernière approche comprend le risque d'écoeurer le client, tant on lui propose régulièrement des caricatures des vins qu'on pourrait produire avec ces cépages. J'ai envie de dire que pour boire une bonne syrah, il faut venir en Suisse, et qu'en matière de chardonnay, rien ne vaut un chablis. Et c'est là que l'orientation produit rejoint l'orientation client: de même qu'il existe une clientèle pour la littérature exigeante proposée par les éditions Verticales, il existe toute une lame de fond en faveur de la redécouverte des terroirs, depuis plusieurs années. J'en veux pour preuve le Salon des goûts et terroirs de Bulle, qui fait chaque année le plein. Le client a soif d'authentique; et c'est bien dans les produits élevés dans les règles de l'art qu'il les trouvera, quitte à y mettre le prix. Cela permet également l'émergence du bio, ainsi que l'esprit de recherche de nouveaux goûts par la consommation de vins de cépages (très) locaux. Le jeu des appellations d'origine contrôlée et de leurs cahiers de charges souvent très stricts concourent également à ce respect de la spécificité des produits - même s'ils s'adressent parfois à une clientèle exclusive.

On ne reprochera pas à un producteur californien ou australien de faire du technologique, puisque telle est sa tradition, de même qu'on ne reprochera pas à un Valaisan de privilégier son terroir. Là où l'on commence à brouiller l'image, c'est lorsque l'on veut intégrer à une tradition majoritairement "terroir" les éléments technologiques les plus étrangers à notre culture du vin, afin de singer d'autres cultures du vin. Les copeaux en sont un; le mélange des blancs et des rouges pour faire du rosé en est un autre...

... mais que cela ne vous empêche pas de savourer la bonne bouteille du dimanche!

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commentaires

J
Le pb de l'orientation client, louable dans l'absolu, est son assise.<br /> Elle se doit de reposer sur une demande, une attente de la clientèle appuyée par des études factuelles et argumentées.<br /> <br /> Y'en a ?
D
<br /> <br /> Aeuh... j'ignore s'il y a eu des études scientifiques poussées à ce sujet; mais vu les avis que j'ai pu recueillir çà et là sur le grand mélange qui va venir, je doute qu'il recevra un accueil<br /> enthousiaste. Mais comme diraient certains, ça dépend de beaucoup de paramètres...<br /> <br /> <br /> <br />
B
Appliquer des méthodes sulfureuses sur une vigne déjà sulfatée qui va donner un vin plein de sulfites... je sens que ces mesclas-là vont me donner mal à la tête!
D
<br /> C'est du lourd, n'est-ce pas? Et j'ai appris, pas plus tard que y'a pas longtemps, que le fromage pourrait être considéré comme mauvais pour la santé par les mêmes instances...<br /> <br /> <br />
F
Oui, déjà que le rosé souffrait d'une mauvaise image (qui commençait seulement à se redresser) cette décision ne risque pas de changer les choses. Décidément l'appât du gain pervertit tout ! À moins que le but soit de pervertir totalement le goût du consommateur pour pouvoir lui vendre n'importe quoi. On retrouve dans la bière cette façon de faire. D'ignobles bibines industrielles vendues, à grand renfort de publicité, comme des nectars ancestraux.
D
<br /> Une telle décision ne va pas aider à remonter l'image du rosé, c'est sûr! Je connais mal le domaine de la bière, mais effectivement, si l'on veut gâcher le goût des néophytes du vin, c'est bien<br /> parti. Attendons de voir, cependant: la décision va tomber dans quelque temps.<br /> <br /> <br />

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